Un noyer cendré pour les sauver tous


Avec la perte d’environ une espèce d’arbre aux dix ans en Amérique du Nord au courant du dernier siècle, il est naturel de s’inquiéter pour l’avenir de la diversité forestière. Alors que certaines espèces sont les vedettes des grands titres, comme les frênes et leurs agriles, d’autres comme le noyer cendré passent sous silence, malgré une situation tout aussi inquiétante. Mais la recherche progresse.


 

UNE BARRIÈRE PROTECTRICE

Depuis mai dernier, une photo de cellules de bois de noyer cendré orne les murs du Planétarium Rio Tinto Alcan à Montréal. Cette image, finaliste au concours « La preuve par l’image » de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS), est porteuse d’espoir pour l’avenir de l’espèce au statut précaire. On y voit une barrière de liège en forme d’accolade à plusieurs grossissements; c’est la défense de l’arbre contre l’invasion du champignon Ophiognomonia clavigignenti-juglandacearum responsable du déclin de l’espèce. 

Cette barrière, composée principalement de lignine et de subérine (de bois et de liège), freine physiquement l’avancement du champignon, mais surtout, le prive du précieux oxygène dont il a besoin pour se développer. Danny Rioux, chercheur au Centre de foresterie des Laurentides et auteur de ces recherches, nous explique ce processus nommé « compartimentation » : « C’est un peu comme un sous-marin qui aurait une entrée d’eau dans un compartiment; il ferme les écoutilles! Mais c’est le contraire; l’arbre limite l’infiltration d’air plutôt que l’eau. »

 

 

Son équipe et lui ont cherché pendant six ans des individus aux aptitudes exceptionnelles pour compartimenter le champignon afin d’utiliser la génétique de ces derniers pour développer des plants résistants au chancre du noyer cendré.

Après la sélection de 200 individus matures potentiellement résistants et la germination de 48 noix issues de ces individus, ils ont finalement découvert le pot aux roses; un jeune arbre infecté qui résistait au champignon par un processus de compartimentage. Cela semble peu, et pourtant :  « C’est quand même pas mal! s’exclame Danny Rioux. Lorsqu’on a 1 % des individus qui sont résistants, c’est déjà très bon. »

La génétique de cet individu servira-t-elle à produire les plants de demain? Ce n’est pas si simple, nous met en garde Danny Rioux. Les noyers cendrés sont très difficiles à reproduire végétativement par bouturage ou greffage, tout particulièrement les individus matures. Il est donc ardu de les cloner et de conserver leur matériel génétique. 

 

 

 

HYBRIDATION

Le noyer cendré, le seul noyer indigène au Québec, a maintenant de la compagnie en nature et en pépinières. Deux espèces exotiques ont été introduites au cours des dernières décennies, soit le noyer noir et le noyer japonais, tous deux résistants à la maladie. Alors que le noyer noir n’a pas d’affinité reproductive avec le noyer cendré, il en est tout autrement pour le noyer japonais qui s’hybride naturellement avec celui-ci. Les hybrides de premières générations s’identifient relativement bien, mais les générations suivantes sont très difficiles à différencier. Comment savoir alors si l’individu résistant que Danny Rioux et son équipe ont découvert était réellement un noyer cendré et non pas un hybride des deux espèces? Hélas, seule une analyse génétique aurait pu permettre de trancher la question et le projet s’est terminé sans qu’une telle analyse n’ait été réalisée. Le mystère persiste.

Mais peut-être que cet enjeu d’hybridation est en fait une opportunité. Et si la génétique du noyer japonais était justement le petit coup de pouce qu’il manque pour préserver notre espèce indigène? C’est le pari que des chercheurs ont pris en Ontario où cette piste de solution est déjà explorée. Cependant, afin de conserver le patrimoine génétique de l’espèce, des seuils restrictifs doivent être appliqués. Par exemple, un seuil maximal de 5 % de traces génétiques du noyer japonais pourrait être utilisé pour produire les hybrides.

 

Distinguer un noyer cendré de ces hybrides

Il est très difficile d’identifier un hybride avec certitude. Au Québec, les hybrides en nature sont présents, mais leur représentativité est inconnue. Par contre en Ontario, une étude de 2016 a relevé jusqu’à 10 % d’hybrides dans un secteur. 

Si vous désirez tenter d’identifier la présence d’un hybride sur votre terrain, une clé d’identification a été développée en Ontario. Voyez les pages 14 et 15 du document suivant : 
www.ontla.on.ca/library/repository/mon/29001/329151-f.pdf

Cette clé n’est pas une technique à l’efficacité infaillible, car des analyses génétiques sont souvent nécessaires. Néanmoins, vous devrez observer un minimum de cinq critères (ex. rétention des feuilles à l’automne, forme du bourgeon terminal, longueur des feuilles, couleur des fissures de l’écorce, forme de la noix, etc.) et cela vous indiquera que vous êtes probablement en présence d’un hybride ou non.

 

 
 

L’EXEMPLE DES FRÊNES

L’amélioration génétique issue d’individus résistants trouvés en nature a déjà fait ses preuves. En Ohio, Jennifer Koch chercheuse au département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) s’intéresse aux frênes. Dans l’est des États-Unis, comme au Québec, l’abondance des frênes est en chute libre depuis l’arrivée de l’agrile du frêne, un coléoptère exotique qui se développe sous l’écorce et provoque la mort de l’arbre. Le laboratoire de Jennifer Koch est en quelque sorte une agence de rencontre pour les frênes. Son équipe est à la recherche des arbres survivants qui persistent dans le paysage. Une fois les arbres trouvés, ils les reproduisent entre eux et étudient le comportement de leur progéniture face aux attaques de l’insecte, dans l’espoir d’engendrer une lignée de frênes résistants. Les résultats sont encourageants. La première génération produite à partir de cette méthode a tué beaucoup plus de larves que la précédente. Jennifer Koch est confiante que d’ici 5 à 10 ans, ils pourront fournir des semis résistants à l’agrile du frêne et recommencer à planter des frênes dans les forêts de l’Ohio. 

 

LA SUITE…

Pour le noyer cendré, l’histoire reste à suivre. Comme les recherches de Danny Rioux étaient avant tout exploratoires et visaient à trouver des individus résistants, il n’y a pas de suite officielle au projet, tel un programme de production de plants améliorés génétiquement semblable à celui pratiqué par l’équipe de Jennifer Koch pour les frênes. Il faut dire que cette espèce n’est pas abondante dans nos forêts et qu’elle est peu prisée par les forestiers, mais ce n’est pas une raison pour ne pas s’y attarder, nous indique Patrick Lupien, responsable du service de l’aménagement forestier et agroforestier au syndicat des producteurs de bois de la Mauricie. Il souligne l’importance écologique pour la faune des arbres qui produisent des semences nourricières comme le noyer cendré, mais aussi que chaque espèce est un outil pour l’aménagiste forestier, et que sans cette diversité d’espèces, le travail de l’aménagiste est perturbé : « C’est comme un électricien ou un plombier, si tu lui enlèves la moitié de ses outils, il ne pourra peut-être pas faire sa job ou peut-être qu’il ne la fera pas de la façon que ça devrait être fait. C’est la même chose pour les forestiers quand vient le temps d’aménager une forêt. »

Il faut dire que le noyer cendré n’est pas un cas isolé au Québec. La liste des espèces d’arbres frappés par des organismes nuisibles s’allonge : le hêtre, les ormes (3 espèces) et les frênes (3 espèces). Or, cette diminution progressive s’accompagne de complications pour l’aménagement des forêts et le maintien de la biodiversité. À défaut d’avoir les moyens de préserver ces espèces, les intervenants forestiers tentent tant bien que mal de limiter les dégâts : « On est frappé depuis les 20 dernières années par ce type d’attaques-là et on a très peu d’outils pour rivaliser […] notre dynamique par rapport à ça c’est d’être en réaction, d’essayer de contrôler les impacts, mais on est très peu proactif pour faire en sorte qu’on garde un nombre d’espèces, qu’on se bat pour garder nos espèces et qu’on les maintienne dans leur milieu » nous partage Patrick Lupien.

La porte reste donc grande ouverte pour la recherche en amélioration génétique. En attendant, la photo de noyer cendré qui orne les murs du planétarium Rio Tinto Alcan à Montréal présente des résultats encourageants; un premier pas vers le rétablissement de l’espèce.  

 

 

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