Quels sont les effets à long terme du choix de l'espacement dans une plantation de peupliers?


Lorsque l’on planifie l’aménagement d’une plantation d’arbres, un choix majeur s’impose : quel espacement (ou quelle densité de plantation) choisir? Généralement, plus on plante d’arbres à l’hectare (ha), plus la compétition pour les ressources entre les arbres augmente, ce qui mène à la production d’arbres de plus faible diamètre. Or, qu’en est-il de l’effet de l’espacement sur le rendement global en bois ou en biomasse et sur le potentiel de séquestration du carbone atmosphérique (CO2 ) d’une plantation?   


 

Tant en forêt privée que publique, on cherche à produire davantage de bois de qualité dans certaines parties du territoire en intensifiant l’aménagement forestier. Parmi les options d’intensification, on retrouve les plantations d’arbres. Dans le sud du Québec, de nombreuses terres agricoles abandonnées offrent un potentiel intéressant pour les espèces à croissance rapide comme le peuplier hybride. Un des bénéfices environnementaux majeurs lié au boisement des terres agricoles abandonnées est le stockage du carbone atmosphérique dans la biomasse ligneuse et dans le sol. Le boisement des terres en friche figure donc parmi les solutions pour réduire le CO2 dans l’atmosphère, en partie responsable des changements climatiques. Le bois produit peut, entre autres, servir à générer de l’énergie renouvelable pouvant remplacer des combustibles fossiles comme le mazout et le gaz naturel. On peut ainsi créer une source durable de bioénergie, à l’échelle locale ou régionale, dans la mesure où l’on replante les arbres récoltés et où l’on minimise la distance de transport entre les lieux de récolte et d’utilisation.   

Plusieurs stratégies sylvicoles sont reconnues pour améliorer le rendement d’une plantation de peupliers : choix d’un site fertile, choix de cultivars adaptés à l’environnement de plantation, préparation du terrain et répression de la végétation concurrente. On peut imaginer qu’il serait également possible d’obtenir de bons rendements sur des sites de moindre qualité simplement en densifiant la plantation, c’est-à-dire en plantant plus d’arbres par unité de surface. Mais, est-ce vraiment le cas?  

C’est dans ce contexte que nous avons étudié, après 14 ans de croissance, l’effet de l’espacement (ou de la densité de plantation) sur la dimension des tiges, sur le rendement total (volume et biomasse), mais également sur le stockage du carbone dans les différents compartiments (troncs, branches, racines et sol) de trois plantations de peupliers hybrides.

 

Le dispositif expérimental 

Au printemps 2000, trois plantations comprenant six espacements différents et un seul cultivar de peuplier ont été établies sur trois sites de friches herbacées dans les municipalités estriennes de Brompton, Ogden et Mégantic. Les espacements (densité de plantation) retenus pour l’expérience variaient de 4,5 m × 4,5 m (494 arbres/ha) à 2,25 m × 2,25 m (1 975 arbres/ha). Les sites étudiés différaient par leur altitude et par leur niveau de fertilité du sol.

 

       

Pour étudier l’effet de l’espacement sur la dimension des tiges, le rendement total et le stockage du carbone dans les plantations, nous avons d’abord développé des relations allométriques (équations) permettant de calculer simplement le volume du tronc ou de la biomasse des différents compartiments (tronc, branches et racines) à partir du diamètre à hauteur de poitrine (DHP, diamètre de l’arbre à 130 cm du sol). Durant la 14e saison de croissance, nous avons excavé le système racinaire de 12 arbres par site (dans différents espacements) pour en extraire la biomasse de grosses racines sur 25 % de la superficie occupée par un arbre. Puis, à l’automne, nous avons coupé 12 arbres par site pour mesurer le volume et la biomasse du tronc et des branches. À partir des données récoltées sur 36 arbres, nous avons ensuite développé des relations allométriques spécifiques à chaque site. Ces équations nous ont alors permis d’estimer, pour chaque arbre des trois plantations, le volume du tronc et la biomasse des différents compartiments, simplement à partir des mesures de DHP. Ensuite, le rendement total de chaque plantation a pu être estimé après 14 ans. Ce rendement total a également été évalué à la fin de la 8e saison de croissance, en utilisant des relations allométriques préalablement développées dans d’autres plantations en friche âgées de 8 ans.   

 

 

Toujours lors de la 14e saison de croissance, nous avons mesuré la biomasse des plantes de sous-bois, de la litière forestière (feuilles mortes, débris ligneux, etc.) et des racines fines. Des sous-échantillons ont également été prélevés sur les différents types de tissus végétaux récoltés afin d’en mesurer la teneur en carbone. Le carbone et les flux d’éléments nutritifs ont également été mesurés dans le sol. Nous avons donc pu calculer avec précision, non-seulement la productivité des plantations, mais également la répartition de la biomasse et du carbone dans les différents compartiments des plantations, et ce, pour chacun des six espacements à l’étude.  

 

Effets de l’espacement sur la dimension des tiges et le rendement de la plantation

Après 14 ans, nous avons observé sur tous les sites une relation positive entre le diamètre ou le volume du tronc et la superficie initiale disponible pour chacun des arbres (voir la Figure 2 c). Cette relation était particulièrement forte sur les sites riches (Brompton et Mégantic), où le DHP moyen observé dans l’espacement le plus grand (4,5 m × 4,5 m) était environ le double du DHP observé dans l’espacement le plus petit  (2,25 m × 2,25 m). Par conséquent, plus on plante d’arbres sur une superficie donnée, moins de ressources (lumière, eau et nutriments) sont disponibles pour chacun des arbres, ce qui affecte négativement leurs dimensions (voir la Figure 3 a). 

 

 

La situation est bien différente pour ce qui est du volume total de bois ou de la biomasse ligneuse totale dans les plantations. Après 14 ans, nous n’avons pas observé d’effet majeur de l’espacement ni sur le rendement global des plantations, ni sur leur capacité à stocker du carbone dans la biomasse ligneuse totale. En fait, les meilleurs rendements en volume ou en biomasse à l’hectare étaient toujours observés dans les parcelles où la survie était la plus élevée, indépendamment de l’espacement. La seule évidence d’un effet significatif de l’espacement initial sur le rendement global a été observée au site de Brompton à 8 ans, principalement en raison du faible volume total mesuré dans l’espacement le plus grand (Figure 4 a). Ainsi, les effets positifs que pourrait avoir une forte densité d’arbres sur le rendement juvénile s’atténuent au fur et à mesure que le peuplement gagne en maturité.    

 

 

Bref, lorsque l’on vise une production accrue de bois, il est clair que dans le cas du peuplier, le choix du site est le premier facteur à prendre en considération. À 14 ans, le volume de bois était de deux à presque trois fois plus élevé sur les sites riches (Brompton et Mégantic) que sur le site pauvre (Ogden) (voir le Tableau 2). Ainsi, réaliser une plantation avec une forte densité d’arbres ne permettra pas de compenser la faible productivité d’un site. Soulignons également que les coûts d’établissement de la plantation augmentent lorsqu’on plante plus d’arbres à l’hectare. Néanmoins, le choix de l’espacement est fort important pour produire du bois de sciage et de déroulage, des applications qui demandent que les billes de bois aient un diamètre d’au moins 20 cm au fin bout. Parallèlement, dans une optique de production de bois de chauffage, il peut s’avérer plus facile pour un « bûcheron du dimanche » de manipuler des arbres de plus faibles diamètres.  

 

       

Pour maximiser le volume de bois récolté, il faut également tenir compte de l’âge de la plantation. En Europe, les peupliers plantés avec une densité de 1 000 à 2 000 arbres/ha sont souvent récoltés avant 10 ans pour le marché de la bioénergie. Or, les plantations étudiées ont toutes produit davantage de bois du début de la 9e année à la fin de la 14e année (une période de 6 ans) que durant les 8 premières années de croissance (Tableau 2 g). Ainsi, peu importe l’espacement choisi au départ, on gagne à laisser vieillir la plantation. Toutefois, le choix du moment de la récolte ne doit pas uniquement être basé sur le volume de bois dans la plantation. Le retour sur l’investissement et le prix du bois sur le marché devraient également être considérés.

Par ailleurs, durant la 15e saison de croissance, nous avons observé d’importants bris mécaniques au site le plus productif, tant dans l’espacement le plus étroit que dans le plus grand. Ces observations militent en faveur de l’utilisation d’un espacement intermédiaire, en raison des aléas du climat (vents forts, verglas, neige mouillée) qui peuvent causer de sérieux dommages aux peupliers. Un espacement de l’ordre de 3 m × 4 m (833 arbres/ha) a fait ses preuves dans nos plantations et ailleurs au Québec. Un tel espacement permet de produire des tiges de forts diamètres en moins de 20 ans, tout en maintenant le coût de plantation relativement bas et en restreignant l’étalement de la cime et le développement des fourches chez certains cultivars de peuplier.      

 

 

Effet de l’espacement sur la distribution de la biomasse et sur le sol

Malgré son effet mineur sur le rendement, l’espacement influence grandement la répartition de la biomasse ligneuse dans les différents compartiments de la plantation. Plus les arbres sont plantés serrés, plus la proportion de biomasse des troncs est forte par rapport à celle des branches (voir la Figure 5 c). Dans les grands espacements, la plus faible compétition pour la lumière favorise le développement d’une cime large et supportée par de grosses branches. De plus, dans les espacements plus petits, le couvert forestier se referme rapidement, particulièrement sur les sites productifs, ce qui accélère le processus d’élagage naturel des branches basses. Par conséquent, l’utilisation d’un espacement trop grand (ex. 5 m × 5 m) augmentera possiblement la charge de travail liée à l’élagage.  

La proportion de biomasse aérienne par rapport à la biomasse souterraine varie également en fonction de l’espacement. La Figure 5 montre que plus les arbres sont serrés, plus ils allouent une forte proportion de leur biomasse au système racinaire. Cela n’est pas surprenant, car plus les arbres sont proches les uns des autres, plus la compétition pour les ressources du sol augmente. D’ailleurs, dans les espacements serrés, nous avons observé une plus faible disponibilité de nutriments dans le sol et davantage de racines fines, ce qui témoigne de cette forte compétition pour les ressources. Ainsi, si l’on cherche à absorber davantage les nutriments du sol, comme en bande riveraine agricole, il pourrait être avantageux d’utiliser un espacement serré. 

Par ailleurs, le carbone du sol tend à augmenter dans les espacements serrés alors que la densité (ou la masse volumique) du sol diminue (voir la Figure 6). L’utilisation d’une densité élevée d’arbres permettrait donc d’accélérer la restauration des sols autrefois cultivés. Des apports plus importants de matière organique riche en carbone dans le sol des espacements serrés ont possiblement attiré davantage la faune du sol qui, par son activité, a contribué à augmenter la porosité du sol.     

Enfin, à la Figure 5, on constate que sur le site pauvre (Ogden), les peupliers allouent une plus forte proportion de leur biomasse vers le système racinaire que sur les sites fertiles (Brompton et Mégantic). Cette stratégie permet aux peupliers d’augmenter leur capacité à exploiter les ressources du sol lorsque celles-ci sont limitantes. Toutefois, cela se fait au détriment de la production de la biomasse aérienne commercialisable.   

 

 

En conclusion

Le choix de l’espacement dans une plantation de peupliers devrait être motivé par l’objectif de production (bois de qualité, bois à pâte ou bioénergie) ou par des considérations environnementales (restauration et stabilisation du sol, phytorémédiation des nutriments en bande riveraine, création rapide d’un microclimat forestier, séquestration du carbone). Dans une perspective d’intensification de la production ligneuse, il est très important d’obtenir un taux de survie élevé, car contrairement à l’espacement, le taux de survie des arbres plantés est lié au rendement de la plantation. Ainsi, l’utilisation de traitements sylvicoles permettant une répression efficace de la végétation concurrente s’avère incontournable pour réduire la mortalité chez les arbres plantés. 

Encore plus important, le choix du site demeure le principal facteur affectant la productivité du peuplier hybride sur des friches agricoles. Comme c’est le cas pour la plupart des espèces plantées dans le sud du Québec (épinettes, pins, mélèzes), nous avons observé qu’une plantation réalisée sur site fertile est de deux à trois fois plus productive qu’une plantation sur site pauvre. Toutefois, une friche agricole considérée comme trop pauvre pour le peuplier hybride peut présenter un excellent potentiel pour des espèces aux exigences nutritionnelles moindres (pin blanc, pin rouge, mélèze, épinette blanche, bouleau blanc, chêne rouge)(Figure 7 a). Clairement, un meilleur appariement entre les espèces d’arbres et les sites de plantation disponibles permettront d’atteindre les objectifs d’intensification de la production ligneuse. 

 

          
    

Remerciements

Nous remercions Agriculture et Agroalimentaire Canada (programme de lutte contre les gaz à effet de serre en agriculture) et le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec pour le financement obtenu. Merci à feu H. Isbrucker, P. Labrecque et M. Blais chez qui les plantations ont été aménagées. Merci aux planteurs et aux aides de terrain (R. Côté, F. Mongeau, J.S. Labrecque, L.P. Gagnon, L. Tétreault-Garneau, D. Adam, L. Godbout, J. Lemelin, M.-A. Pétrin, M. Blais). Merci à R. Lamadeleine et M. Poulin pour l’accès au four de séchage de Domtar Corp., Windsor, Québec. Merci à feu H. Isbrucker pour avoir fourni un espace de travail et de stockage dans sa grange. Merci à R. Bradley et W. Parsons du Centre d’étude de la forêt (CEF) à l’Université de Sherbrooke pour les analyses C/N et à G. Lagacé de Génik Inc. pour le carottier de sol. Enfin, merci à A. Déziel de la pépinière de Berthier (MFFP) pour les plants de peupliers et à F. Lemieux et C. Cormier du bureau régional du MFFP. 

 


En savoir plus

Contactez les auteurs : 

  • Benoit Truax, Ph. D., chercheur, directeur général et fiduciaire, Fiducie de recherche sur la forêt des Cantons-de-l’Est

Courriel : btruax@frfce.qc.ca  |   Tél. : 819-821-8377

  • Julien Fortier, Ph.D., chercheur, Fiducie de recherche sur la forêt des Cantons-de-l’Est  

Courriel : fortier.ju@gmail.com 

  • Daniel Gagnon, Ph. D., professeur chercheur, Département de Biologie, Université de Regina, fiduciaire de la FRFCE 

Courriel : daniel.gagnon@uregina.ca 

  • France Lambert, M.Sc., professionnelle de recherche, Fiducie de recherche sur la forêt des Cantons-de-l’Est  

Courriel :  france.lambert@frfce.qc.ca 

 

Consultez les articles suivants :

  • « Planting density and site effects on stem dimensions, stand productivity, biomass partitioning, carbon stocks and soil nutrient supply in hybrid poplar plantations », Forests, Volume 9, no 6, par B. Truax, J. Fortier, D. Gagnon, et F. Lambert.

L’article complet : www.mdpi.com/1999-4907/9/6/293

  • « Allometric equations for estimating compartment biomass and stem volume in mature hybrid poplars : General or site-specific? », Forests , Volume 8, no 9, par J. Fortier, B. Truax, D. Gagnon, et F. Lambert.

L’article complet : www.mdpi.com/1999-4907/8/9/309

Photos : Julien Fortier et Daniel Gagnon

 

 

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