Nourrissage du cerf et ses problématiques


Le cerf de Virginie est un animal sauvage qui fait partie du patrimoine québécois. C’est un animal familier dans le paysage rural et périurbain. De nombreuses personnes sont tentées de le nourrir afin de pouvoir l’observer ou simplement parce qu’elles sont préoccupées par son bien-être. Néanmoins, cette pratique n’est pas bénéfique pour cette bête.


 

Le cerf de Virginie : une bête bien adaptée à nos hivers

L’hiver est une période cruciale pour le cerf de Virginie au Québec. En effet, il doit faire face à plusieurs mois où d’importantes accumulations de neige rendent ses déplacements et l’accès à la nourriture plus difficile. De plus, il doit réussir à se garder au chaud malgré les basses températures. Durant ces mois d’hiver, il utilise ses réserves corporelles et peut perdre ainsi entre 15 % et 30 % de son poids, ce qui peut provoquer la mort chez certains individus. Toutefois, la nature étant bien faite, le cerf de Virginie s’adapte à ces conditions difficiles afin d’augmenter ses chances de survie. En effet, pour réduire sa perte d’énergie associée à la neige et au froid, il se concentre à des endroits spécifiques (ravage) et diminue son activité. L’entretien d’un réseau de sentiers par l’espèce facilitera ses déplacements et diminuera les risques de prédation. Aussi, son alimentation change progressivement avec l’arrivée de l’hiver. Durant la saison estivale, il se nourrit de plantes herbacées, de ramilles d’arbustes et de fruits. L’hiver, seules les ramilles d’arbres et d’arbustes demeurent disponibles. Ce changement d’alimentation s’accompagne d’une adaptation du système digestif qui permet au cerf d’augmenter sa digestion de fibres ligneuses. Cette diète hivernale est certes riche en fibres, mais pauvre en protéines et en énergie. 

 

Quand l’humain essaie d’aider la nature

Dans la région des Laurentides par exemple, plus de 15 000 tonnes de carottes et de pommes sont distribuées aux cerfs de Virginie chaque année. Dans certaines régions, comme l’Estrie et l’Outaouais, des entreprises touristiques en font une attraction pour la population. Que ce soit par simple préoccupation du bien-être animal ou pour des raisons économiques ou récréotouristiques (observation à domicile ou commerciale), les prétextes sont nombreux pour nourrir les cerfs en hiver. Malheureusement, le nourrissage artificiel du cerf, particulièrement en hiver, a beaucoup plus d’effets négatifs que d’effets positifs.

 

Impacts du nourrissage artificiel du cerf  

Impacts biologiques

Le cerf modifie son comportement lorsqu’il est nourri par l’humain. Il est susceptible d’abandonner ses aires de confinements (ravage) et de choisir un habitat moins bien adapté pour passer l’hiver. De plus, en se concentrant sur un site de faible superficie, il entre en compétition pour cette nouvelle source de nourriture avec d’autres individus. Il peut donc devenir agressif autour des mangeoires et augmenter ainsi le nombre de blessures ou le stress. Cela pourrait avoir comme répercussion de réduire sa capacité immunitaire, sa croissance et son succès de reproduction. Il peut aussi développer une dépendance vis-à-vis la nourriture d’appoint. 

Par ailleurs, lorsque de nombreux cerfs de Virginie fréquentent un même site de nourrissage, les risques de transmission de maladies et de parasites augmentent considérablement. Par exemple, cela peut entraîner une augmentation locale de la tique à pattes noires, parfois porteuse de la maladie de Lyme. 

La nourriture distribuée aux sites de nourrissage est généralement inadéquate et difficilement digestible créant un déséquilibre énergétique ainsi que des carences alimentaires. Par exemple, les fruits et légumes congelés ont un faible rendement énergétique et peuvent causer des diarrhées et des ballonnements du rumen (première partie de l’estomac des ruminants). Leur contenu en eau est souvent très élevé et le cerf doit dépenser beaucoup d’énergie pour réchauffer cette nourriture. Les grains, comme le maïs ou l’avoine, sont quant à eux riches en énergie, mais contiennent peu de fibres, ce qui peut causer une inflammation du rumen et même parfois entraîner la mort de l’animal. Par ailleurs, ayant de la nourriture à volonté, le cerf peut tomber dans l’excès et être suralimenté. 

 

Impacts sociaux et économiques

Les effets sur les résidents ne sont pas non plus négligeables lorsque les cerfs fréquentent un site de nourrissage artificiel de façon intensive. En effet, il est fort possible qu’ils se nourrissent aussi des plantes avoisinantes (ex. : haie de cèdres, plantes ornementales) dans les terres en cultures à proximité ou bien qu’ils mangent la régénération forestière limitrophe. De plus, il est probable que les bêtes fréquentent aussi les terrains adjacents causant des dommages divers (ex. : piétinement, déprédation) chez des personnes n’ayant pas désiré leur visite, occasionnant ainsi des problèmes de voisinage. 

La nourriture destinée aux cerfs de Virginie risque également d’attirer d’autres espèces animales moins désirables telles que les moufettes. De plus, la concentration de cerfs de Virginie à un même endroit peut avoir pour effet d’attirer des prédateurs (ex. : coyotes) dont la présence n’est pas souhaitée à proximité des habitations. 

Habituellement, les résidents nourrissent les cerfs de Virginie à proximité de leur résidence, obligeant ainsi les cerfs à traverser des routes véhiculaires pour s’y rendre. Par conséquent, le potentiel de risques d’accidents routiers impliquant un cerf de Virginie augmente dans ce secteur, causant des blessures ou le décès des humains et des cerfs. Les coûts sociaux associés à ces accidents ne sont pas négligeables. Parmi ceux-ci, il y a notamment le coût des assurances, les frais d’hospitalisation et le coût de l’installation de dispositif de protection limitant la présence d’animaux sur les routes (ex. : clôture anti-cervidé, passage faunique), en plus des coûts engendrés par les chocs psychologiques vécus par les victimes de ces accidents. 

 

 

Impacts environnementaux

Naturellement, le cerf de Virginie s’adapte en fonction de sa densité, de la disponibilité de nourriture, des moyens de défense des plantes (ex. : quantité de tannins, présence d’épines) et de l’accessibilité des plantes notamment. Il est opportuniste et il a une grande capacité d’adaptation. Bien qu’il ait des préférences alimentaires, si la nourriture se raréfie, il ne fait pas le difficile et mange ce qu’il trouve. Par conséquent, le nourrissage artificiel a pour effet de maintenir les populations à un niveau plus élevé que la capacité de support biologique du milieu. Les cerfs se regrouperont à des endroits non adaptés entraînant une modification du milieu ou une diminution de la régénération forestière avoisinante par exemple. De plus, des plantes à statut précaire (ex. : trille blanc, adiante du Canada, lis du Canada) pourraient également être broutées ou piétinées.   

 

Actions à poser

Il est de la responsabilité de tous les citoyens de conserver un cheptel en santé en évitant de nourrir les cerfs de façon inappropriée et de les attirer hors de leur milieu naturel. Il est donc recommandé de ne pas nourrir les cerfs de Virginie. Cet animal est naturellement adapté à nos hivers et il est préférable de le laisser vivre comme un animal sauvage. Les spécialistes du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs assurent le suivi des populations de cerfs au Québec et ajustent les niveaux d’exploitation liés à la chasse en tenant compte des facteurs de mortalité naturelle tels que la rigueur de l’hiver.

Par contre, il est possible de favoriser la production de nourriture naturelle et de maintenir la qualité des aires de confinements (ravages) à l’aide des opérations forestières. En effet, une variation au niveau de la répartition spatiale et temporelle des coupes forestières permettra d’assurer le maintien et la qualité des peuplements d’abri ou de nourriture. Habituellement, une éclaircie précommerciale dans un peuplement résineux âgé de 8 à 20 ans accélérera la venue d’un peuplement forestier d’abri de qualité alors qu’une coupe de jardinage dans un peuplement mélangé offrira davantage de nourriture aux cerfs. Aussi, les opérations forestières effectuées tard à l’automne ou avec protection de la régénération permettront d’offrir aux cerfs une source de nourriture adaptée pendant la saison hivernale. De plus, il est possible de conserver les espèces végétales qui sont davantage prisées par le cerf comme les érables (rouge, à sucre, à épis), le noisetier à long bec, le thuya occidental et les différentes espèces de cornouiller (hart rouge). 

Finalement, il faut faire confiance à la nature et laisser le cerf à l’état sauvage. Des pratiques forestières adaptées auront plus d’effets positifs sur le cerf et vous offriront davantage la chance d’observer cette magnifique bête dans son milieu avec un comportement naturel. 
 


 

 

 

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