Le chaulage en érablière : évaluer la nécessité et précéder adéquatement


Le 20 février 2019, l’Association forestière du sud du Québec a organisé une soirée-conférence en partenariat avec SNG Foresterie-Conseil sous le thème du chaulage, de sa pertinence, de son application et de son efficacité. Les deux conférenciers pour l’occasion étaient Daniel Gagnon, ingénieur forestier chez SNG Foresterie-Conseil, et Rock Ouimet, ingénieur forestier et chercheur à la Direction de la recherche forestière du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. Le texte qui suit est un résumé des notions qu'ils ont abordées lors de l’activité. 


 

Il n’existe pas de traitement miracle!

Le chaulage est une solution à un problème d’acidité du sol. Est-ce une solution contre tous les maux? Non! Votre objectif devrait toujours être la vigueur de vos érables actuels et futurs. Un érable vigoureux aura une bonne croissance et conséquemment, il donnera plus de sirop. De plus, une croissance en diamètre supérieure facilitera l’entaillage dans un bois sain. 
Certains signes peuvent indiquer un problème dans l’érablière, telles une détérioration graduelle de la cime des érables, une diminution de la croissance, une raréfaction de la régénération en érable ou une diminution du rendement en sirop. Si tel est le cas, il est important de faire une bonne analyse de votre érablière. Un portrait complet vous permettra d’identifier les problèmes, mais aussi leurs origines. Ainsi, vous pourrez vous attaquer à la source par un traitement adapté et non colmater le problème temporairement. 

 

 

Qu’est-ce qu’un diagnostic en érablière?

Il s’agit d’une analyse de l’érablière accompagnée de recommandations qui visent à maintenir ou à améliorer les éléments suivants : 

  • la vigueur des érables dominants;

  • l'état de la régénération;

  • la fertilité des sols;

  • les caractéristiques du site.

Une fois les recommandations appliquées, l’érablière devrait s’autoréguler par la suite. C’est-à-dire que de nouveaux traitements ne devraient pas être nécessaires à court ou moyen terme en dehors des entretiens périodiques. 

 

Réaliser un diagnostic

Cette évaluation est généralement faite par un ingénieur forestier spécialisé en acériculture. Il observera l’environnement en partant de la cime des arbres jusqu’au sol. Voici des exemples d'observations. 

  1. La cime : Y a-t-il une perte de feuillage ou une descente de cime?

  2. Le tronc : Est-ce que le tronc présente des défauts (chancre, courbure ou cicatrice)?

  3. Le peuplement : Quelle est la densité des arbres? Quels sont leurs hauteurs et âges moyens?

  4. La régénération : Quelles sont l’abondance, la répartition et la représentativité en espèce de la régénération?Est-ce qu’il y a d’autres espèces au sol pouvant concurrencer avec la régénération (p. ex. la fougère)?

  5. Le sol : Quel est le drainage du terrain? Quel est le pH du sol? Est-ce que ce dernier présente des carences en éléments nutritifs?

Ces observations et mesures vont servir à caractériser la forêt, mais aussi chacune des sections de celle-ci. Il est rarement possible de faire une moyenne de toutes ces informations. Par exemple, si vous avez une érablière dans une pente, les caractéristiques en haut et en bas de pente seront probablement différentes. Ces zones n’auront pas les mêmes problématiques ni correctifs à appliquer. Il faut donc délimiter des secteurs dans l’érablière en fonction des types de sols, du drainage, de la pente, de la composition en espèces, du portrait de la régénération, du peuplement (densité, hauteur, âge) et des problématiques particulières (fougère, hêtre, etc.). On fait alors une moyenne des informations pour chacun de ces secteurs indépendamment. Puis, on pourra appliquer le bon traitement au bon endroit, sans gaspiller argent et ressources dans des secteurs productifs. 

 

 

Rapport de diagnostic

Ce document fera état des caractéristiques de chacun des secteurs de votre érablière en fonction de valeurs cibles à atteindre. Pour chacune de ces caractéristiques, un point de couleur sera associé : un point rouge pour un élément à corriger en priorité, un point jaune pour un élément non prioritaire et un point vert pour un aspect conforme aux besoins d’un peuplement d’érables à sucre vigoureux. Voici quelques éléments à surveiller. 

 

La densité du peuplement

La densité des arbres ne doit pas être trop élevée afin que leur croissance soit maximisée et qu’une régénération puisse s’installer. La densité ne doit pas être trop faible non plus. On veut maintenir un nombre d’entailles intéressant à l’hectare et on ne veut pas que des espèces indésirables s’installent en sous couvert. 
On mesure la densité des arbres par un calcul de surface terrière. Cela équivaut à calculer l’espace en superficie que prendraient tous les troncs d’un hectare si on les coupait à hauteur de poitrine et si on les rassemblait tous. Dans le cas d’une érablière, on vise une surface terrière située entre 20 et 28 m2/ha. Par des coupes adéquates, on peut maintenir cette densité. 

 

Les espèces compagnes

Les espèces compagnes sont importantes. En quantité suffisante, elles empêchent l’érable d’autodétruire son propre environnement. En effet, l’érable à sucre possède des feuilles acidifiantes. Lorsqu’elles tombent, elles acidifient le sol, ce qui a pour effet de graduellement transformer le site. Les érables deviendront alors moins vigoureux tout en laissant leur place au fil des ans à des essences plus tolérantes à l’acidité. 
Les espèces compagnes, quant à elles, ont des feuilles alcalinisantes, c’est-à-dire qu’elles peuvent contrer l’effet acidifiant des feuilles d’érable. Pour ce faire, on doit en maintenir une quantité suffisante. Il est suggéré de maintenir entre 15 à 20 % de la surface terrière en espèces compagnes. Les feuillus font de bonnes espèces compagnes à l’érable et certaines sont particulièrement intéressantes, tels le tilleul, le bouleau jaune, l’ostryer et le cerisier. 

Si votre sol est déjà acide, vous ne pouvez pas compter uniquement sur les espèces compagnes pour renverser la situation, à moins d’être extrêmement patient. Ça pourrait prendre jusqu’à 100 ans. C'est pour cette raison qu'on recourt au chaulage; il permet de neutraliser ce qui s’est accumulé au fil des ans, et ce, dans un intervalle de temps beaucoup plus court. 

Un second avantage de maintenir une proportion suffisante d’espèces compagnes est de rendre le peuplement plus tolérant aux attaques d’insectes ou de pathogènes qui ciblent l’érable. Par exemple, la livrée des forêts est un insecte particulièrement attiré par l’érable à sucre. La présence d’une bonne variété d’arbres rendra votre érablière moins attractive pour celle-ci. 

 

La présence du hêtre

Le hêtre est une espèce mal-aimée des acériculteurs. Ce ne devrait toutefois pas être le cas. Pourquoi? Car le hêtre fait partie des espèces compagnes qui limitent l’acidification des sols. C'est également un arbre de type opportuniste. C’est-à-dire qu’il utilise les espaces moins intéressants pour les autres. Sa présence signifie donc que l’érable a de la difficulté à se développer. Le hêtre étant moins exigeant, il prend la place. 

Les résultats d’une expérience réalisée dans le sud du Québec soutiennent cette affirmation. Dans l'expérience, on a suivi la croissance de trois espèces (érable à sucre, bouleau jaune et hêtre à grandes feuilles) dans trois conditions (sol sans traitement, sol traité avec 800 kg/ha de chaux et sol acidifié avec 285 kg/ha de soufre). L’érable à sucre, étant moins tolérant à l’acidité, a vu sa croissance accrue de 138 % avec la chaux alors qu’elle a été réduite de 25 % avec le soufre. Le bouleau jaune a été moins affecté : augmentation de la croissance de 77 % avec la chaux et aucun effet significatif avec l’acide. Le hêtre a généré des résultats bien différents. La chaux n’a pas influencé la croissance, mais l’acide l’a bonifiée de 133 %. En somme, lorsque les conditions de sol s’améliorent, l’érable à sucre en profite plus que les autres. Lorsque le sol devient acide, l’érable à sucre est l’espèce la plus affectée négativement alors que d’autres peuvent s’en accommoder ou en bénéficier. 

 

Est-ce que mon sol est acide?

Un sol acide est un sol dont le pH se situe en dessous de 7. On mesure le pH sur une échelle de 0 à 14. Un pH de 7 est neutre. En dessous, c’est acide et au-dessus, basique. Au Québec, les sols sont en quasi-totalité acides. Si votre sol a un pH de 6, il a fort à parier que c’est un sol de qualité. Par contre, il y a de plus en plus de sols dont le pH est inférieur à 4 dans le sud du Québec. Un sol ayant un pH de 4 est 100 fois plus acide qu’un sol de pH 6. Il y a donc de grandes variations en terme de niveau d'acidité. Pour ce qui est de l'érable à sucre, il affectionne particulièrement les sols dont le pH se situe entre 5,0 et 7,3. 

Une augmentation de l’acidité du sol a pour effet de réduire la disponibilité de certains éléments nutritifs comme le calcium, le magnésium et le potassium. Par le passé, les pluies acides ont fait perdre plus de 50 % de la réserve de calcium des sols de nos régions. Aujourd’hui, on considère qu’il n’y a plus vraiment de pluies acides. Par contre, leurs effets sont encore bien visibles dans plusieurs érablières. 

Différents signes peuvent suggérer un sol trop acide pour l’érable, mais seule une analyse du sol pourra le confirmer. Pour ce faire, il faut d'abord récolter des échantillons. Nous suggérons que cette étape soit réalisée
ou supervisée par un professionnel, tel un ingénieur forestier ou un agronome, car les sols forestiers sont plus complexes à analyser que les sols agricoles. Les sols forestiers sont divisés en couches. Il faut récolter un échantillon dans la première, la couche organique. Puis, un second dans la zone minérale. Les échantillons doivent être représentatifs de la zone à tester. Selon la superficie à examiner, un nombre adéquat d’échantillons sera établi. 

Les échantillons seront envoyés à un laboratoire pour analyse. Afin d'en interpréter les résultats, un logiciel a été développé par la Direction de la recherche forestière du Québec, il s’agit de DELFES. Le logiciel permet d’évaluer le statut nutritionnel d’une érablière et de recommander des traitements de chaulage ou de fertilisation. 

 


 

 

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