La restauration des forêts feuillues : entre expérimentations et applications réelles


Forêt Hereford est l’organisme de bienfaisance responsable de la gestion de la Forêt communautaire Hereford. Ce territoire privé de 5 600 ha est situé en Estrie et est issu du plus grand don foncier de l’histoire du Québec. Sa vocation forestière est protégée par la plus grande servitude de conservation forestière de l’Est du Canada (en faveur de Conservation de la nature Canada). 


 

La Forêt communautaire Hereford est une propriété privée un peu spéciale… Elle a notamment comme fins de bienfaisance de restaurer ses écosystèmes forestiers et de servir de laboratoire de recherche et d’expérimentation. Voilà pourquoi beaucoup d’essais ont été réalisés depuis 2016 afin d’augmenter la présence de plusieurs arbres feuillus aujourd’hui raréfiés. Pour réaliser ces expérimentations, l’organisme travaille avec son conseiller forestier, Aménagement forestier et agricole des Sommets, et des bénévoles. Tous ces essais sont déployés notamment dans le but d’inciter d’autres propriétaires de boisés à contribuer à la restauration des forêts feuillues et mixtes du sud du Québec. Voici donc un aperçu des essais en cours. 

 

Miser sur l’ensemencement naturel

Les travaux de restauration forestière à la Forêt Hereford impliquent dans certains cas la récolte de matière ligneuse. C’est l’une des principales sources de revenus de Forêt Hereford, comme pour bon nombre d’autres propriétaires forestiers d’ailleurs. Mais nos travaux sont toujours réfléchis en fonction d’une approche de restauration. L’épinette rouge et le bouleau jaune sont les deux espèces forestières présentes qui nous demandent le plus d’efforts de régénération. Des besoins précis en luminosité et des conditions de sol bien particulières, souvent difficiles à reproduire avec les coupes partielles conventionnelles, font en sorte qu’elles ne se reproduisent pas aussi facilement que l’érable à sucre et le sapin baumier. Pour des raisons d’aménagement écosystémique, nous essayons d’augmenter la présence de ces deux espèces d’arbres (qui peuvent vivre plus de 200 ans). Lorsque nous avons suffisamment de semenciers de ces essences (normalement environ 30 par hectare suffisent, puisque les graines de bouleaux peuvent être transportées par le vent sur une distance de plus 100 m), nous ouvrons le couvert forestier sur une petite superficie de 300 à 1 200 m² (10 à 20 m de rayon, en fonction des essences). Les trouées sont planifiées aux endroits où des semenciers sont présents, c’est-à-dire que ces derniers sont protégés et non récoltés. Ensuite, on lève les yeux vers le ciel… et on attend. Non pas la pluie, mais bien la prochaine année semencière! Assez facile à identifier au printemps ou en automne, son cycle revient aux deux à trois ans. Lorsque nous avons la confirmation que beaucoup de semences seront produites (et donc tomberont au sol durant le prochain hiver), on scarifie! En fait, on brasse légèrement le sol dans toute la trouée, en évitant de trop s’approcher de nos semenciers (pour ne pas affecter leurs racines) et des gaules de ces essences déjà implantées. Et la meilleure façon que nous avons trouvée pour cette étape, après en avoir essayé quelques-unes, est d’y aller avec une bonne vieille débusqueuse à câble (un tracteur avec un godet ou une lame pourrait aussi très bien faire l’affaire). L’opérateur met sa lame au sol, pour ensuite pousser et déplacer les résidus de coupe dans la trouée, tout en faisant rouler ces roues sur elles-mêmes et en évitant de créer de la compaction et des ornières. Ce faisant, il brasse le sol et mélange l’humus avec le sol minéral. La machine fait ainsi exactement ce que la nature fournirait comme lits de germination pour ces espèces à la suite d’un gros chablis par exemple. 

 

 

Cette préparation de terrain offre aussi une solution pour gérer la compétition arbustive ou contrer l’envahissement des gaules de hêtre à grandes feuilles, malheureusement victimes de la maladie corticale. Elle doit idéalement être réalisée tout juste après que les feuilles soient tombées, afin de favoriser la chute des semences directement sur le sol minéral exposé. En synchronisant cette préparation de terrain avec l’année semencière, vous aurez un succès instantané pour le bouleau jaune et, quelques années plus tard, pour l’épinette rouge. Dans le cas du bouleau, si votre ouverture n’est pas équivalente à au moins deux hauteurs d’arbres (donc 40 m de diamètre ou 1 200 m²), le couvert se refermera trop rapidement, sans laisser le temps aux bouleaux jaunes d’atteindre le stade perchis (10 cm et plus de diamètre). Vous pouvez également prévoir éclaircir les tiges d’avenir ainsi implantées, mais cela n’est pas sans risque sur les autres tiges et demande également plus d’effort. Faire des trouées offre aussi une foule d’autres possibilités de restauration, dont les deux prochaines approches en sont des exemples.

 

Enrichir nos forêts!

Quand nos travaux sont réalisés dans des forêts à fort potentiel forestier, on y investit… des efforts de restauration! L’approche la plus coûteuse est sans contredit l’enrichissement, soit le reboisement d’espèces d’arbres rares ou absentes de nos forêts (c’est la forêt qu’on enrichit et non pas le propriétaire). Outre le retour de ces espèces plus rares, le contexte de réchauffement climatique nous permet aussi de planter certaines espèces d’arbres indigènes au Québec, mais absentes de notre région, qui sont déjà adaptées à nos endroits, ou qui le deviendront très rapidement. Encore une fois, l’approche de la petite trouée, comme celles déjà testées par plusieurs chercheurs, est tout à fait adaptée pour l’enrichissement. Il faut toujours penser à la fermeture progressive du couvert et au besoin en lumière des espèces reboisées, et donc s’assurer d’une ouverture suffisante (ou de prévoir un dégagement des jeunes tiges, comme cela est pratiqué en Mauricie par Patrick Lupien et son équipe). Ainsi, depuis 2016, Forêt Hereford enrichit environ 300 plants feuillus par année (chêne rouge, tilleul d’Amérique, chêne blanc [merci à Benoit Truax et sa Fiducie de recherche!], caryers, chêne à gros fruits, etc.). Ces arbres ne sont jamais reboisés seuls, mais sont toujours accompagnés de résineux (essentiellement pin blanc et épinette blanche et rouge). Cette approche d’enrichissement mixte offre une meilleure garantie face aux incertitudes du climat (réchauffement et évènements annuels extrêmes) et permet de diversifier les efforts. Tous les plants feuillus doivent être protégés par un protecteur contre les cervidés et visités deux ou trois fois par année durant au moins trois ans, afin de relever les protecteurs affaissés par la neige… ou les orignaux. L’engagement du propriétaire est donc un incontournable dans une approche d’enrichissement. Les pins blancs et les épinettes rouges sont aussi raréfiés, mais sont moins broutés par les cervidés dans notre secteur; il n’est donc pas nécessaire d’installer des protecteurs lorsqu’on les reboise. Finalement, l’enrichissement en feuillus au Québec est rendu possible grâce à la production d’arbres feuillus de grande qualité par la pépinière publique de Berthierville : souhaitons qu’elle sera présente encore longtemps!

 

Imiter la nature… et les animaux!

Pour ceux ayant moins de ressources à consacrer à l’enrichissement (section précédente), l’ensemencement artificiel (en s’inspirant des écureuils) peut être une option. Depuis 2016, Forêt Hereford a ensemencé des milliers de glands de chênes et de noix de noyers noirs et cendrés avec l’aide précieuse de dizaines de bénévoles cueilleurs et planteurs. 

 

 

Plusieurs facteurs influencent le succès de germination des glands de chênes. À chacun sa méthode! De notre côté, c’est la sélection visuelle des glands, la plus tardive possible à l’automne, qui a donné les meilleurs résultats. Cette sélection tardive laisse suffisamment de temps pour que les insectes (particulièrement certains charançons) qui se nourrissent de l’intérieur de certains glands émergent; les glands troués sont alors jetés et non plantés. L’ensemencement a été testé dans différents terrains et les trouées scarifiées ont été la meilleure option jusqu’à maintenant (le travail de mise en terre y est tellement facilité et la compétition arbustive est alors gérée pendant au moins deux ans). Encore une fois, il faut prévoir la mise en terre de ces glands et de ces noix dans des milieux offrant suffisamment de lumière pour plusieurs années. Ils doivent être enfouis dans la terre à une profondeur minimale équivalente au diamètre du fruit. Cette profondeur est nécessaire pour éviter les gels trop intenses et afin d’avoir le taux d’humidité et la température recherchés pour leur stratification (période nécessaire pour lever la dormance de l’embryon qui se trouve dans le gland ou la noix). Cette opération de mise en terre, avec des manches de bois et des petites pelles rondes, se fait très rapidement et facilement, et est une belle activité de groupe. Un simple petit trou creusé peut accueillir cinq à six glands ou deux à trois noix. Il est préférable de les mettre en terre le plus tardivement possible à l’automne, tout juste avant les premières neiges, puisque les animaux qui pourraient s’en nourrir disposent alors de moins de temps pour les trouver (geai bleu, écureuils, tamias, chevreuils, etc.).  Aussi, la litière de feuilles au sol contribuera à cacher et à protéger les semences de la déprédation, tout en les mettant à l’abri des variations importantes de température.  

 

 

Choisir de restaurer

Travailler sporadiquement dans une approche de petites trouées à l’échelle du peuplement, sans jamais dépasser 20 % de sa superficie, fournit beaucoup de possibilités de restauration forestière accessibles aux propriétaires de boisés. Aussi, cela permet de développer des forêts avec une plus grande diversité en essences et une plus grande complexité structurale (arbres de toutes sortes de dimensions). Ce faisant, on évite de faire partout la même chose et on maintient, à l’extérieur des trouées, de gros arbres matures et des chicots, attributs de vieille forêt si importants pour la faune ET pour les stocks de carbone dans nos forêts. Ceci est une approche parmi tant d’autres. La restauration forestière de la forêt feuillue et mixte du sud du Québec, notamment inspirée des travaux de feu notre ami Peter Kilburn de Barston-Ouest, est un long processus continu qui prend encore plus de sens dans le contexte du réchauffement climatique et de l’arrivée d’espèces exotiques envahissantes. C’est l’affaire de tous les propriétaires de boisés, petits et grands! Tous les petits gestes comptent : choisissez les vôtres… et bonne restauration!
 


En savoir plus

Contactez l’auteur par courriel : dany.senay@forethereford.org

Pour plus d’informations, visitez les sites Internet suivants :

 

 

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