Incertudes climatiques et biotiques : comment rendre notre érablière plus résiliente face à ces menaces?


Dans le contexte actuel des changements globaux qui s’accélèrent, tous les êtres vivants font face au besoin de s’adapter à ces nouvelles conditions, et les arbres et les forêts n’y font pas exception. 


 

Outre un climat changeant — caractérisé par des événements météorologiques plus extrêmes (vents forts, tempêtes, sécheresses prolongées, etc.) — et la propagation de nouveaux insectes et maladies exotiques à travers le monde, il existe également une incertitude croissante quant aux valeurs socio-économiques futures de nos forêts. Nous sommes de moins en moins en mesure de prédire les conditions biotiques et abiotiques futures auxquelles nos arbres seront confrontés, ni quelles espèces d’arbres ou quels services écosystémiques seront les plus appréciés dans le futur. Et à cause de cette incertitude grandissante, la façon dont nous gérons nos boisés doit changer. Nous devons passer d’une gestion basée sur la certitude et la production de produits et services bien définis (sirop, bois feuillus de qualité, bois de construction, etc.) à une gestion basée sur l’incertitude et l’augmentation de la résilience face aux changements globaux.

 

Comment gérer l’incertitude et la résilience : l’approche par la diversité fonctionnelle

Il est maintenant de plus en plus reconnu qu’une grande diversité d’espèces d’arbres augmente la résilience de la forêt face aux perturbations. J’utilise le terme résilience ici de façon très globale comme étant la capacité d’une forêt à soit résister, soit récupérer rapidement tout en conservant sa structure et sa composition ou soit changer de composition et de structure afin de s’adapter suite à une ou des perturbations ou stress de façon à conserver ses principales fonctions. Bien que nous utilisions généralement le nombre d’espèces pour évaluer la diversité d’une forêt, cette valeur ne nous donne aucune information sur l’équitabilité des espèces présentes ou sur la diversité des caractéristiques écologiques ou fonctionnelles de ces espèces. Un boisé ayant 10 espèces d’arbres en proportion égale (indice d’équitabilité de 1,0) est clairement plus diversifié qu’un autre boisé ayant aussi 10 espèces d’arbres, mais pour lequel deux espèces représentent 95 % de la surface terrière (indice d’équitabilité de 0,1). De la même façon, il est facile de comprendre qu’un boisé ayant 10 espèces d’arbres en proportion égale, dont quatre espèces d’érables, trois espèces de pins et trois espèces de peupliers est moins diversifié fonctionnellement parlant (diversité fonctionnelle de 2,1) (voir figure 1) qu’un autre boisé ayant 10 espèces d’arbres en proportion égale, dont deux espèces d’érables, du sapin, une espèce d’épinette, deux espèces de chênes, une espèce de peuplier, deux espèces de bouleaux et de la pruche (diversité fonctionnelle de 3,7). Il devrait donc être évident qu’une forêt composée de 10 espèces d’arbres représentant une grande diversité de caractéristiques fonctionnelles, et présentes en proportion plus ou moins égale d’espèces, est mieux « outillée » pour soit résister, soit récupérer rapidement et efficacement face à une panoplie de perturbations connues ou inconnues. On fait souvent l’analogie entre le bénéfice d’avoir un portefeuille financier diversifié et celle d’un boisé diversifié. Un portefeuille (un boisé) contenant des investissements dans des titres (espèces d’arbres) aux caractéristiques (traits fonctionnels) différentes permet de minimiser les risques d’une chute soudaine d’un de ces titres (perte d’une ou de quelques espèces causée par la sécheresse ou un insecte exotique). 

C’est pourquoi les écologistes ont développé une nouvelle façon d’évaluer la diversité basée sur les traits biologiques des espèces d’arbres (également appelés traits fonctionnels). On parle ici de traits de type morphologique (hauteur maximale de l’arbre, taille des graines, profondeur des racines), physiologique (taux de photosynthèse, sensibilité à la cavitation, tolérance à la sécheresse, capacité de rejet) ou phénologique (début et fin de la saison de croissance annuelle). Puisque ces traits fonctionnels nous renseignent sur la façon dont les arbres vont répondre et s’adapter à la suite d’un stress, ils sont choisis de façon à couvrir un grand éventail de facteurs environnementaux tels que la sécheresse, le feu, le vent, les inondations et le broutage. Cette approche par traits fonctionnels nous permet ainsi de mesurer la diversité de réponses possibles qu’un boisé possède face aux perturbations présentes ou futures. 

Une manière simple d’appliquer cette approche consiste à regrouper les espèces en fonction des similitudes de leurs traits fonctionnels (figure 1), en créant ce que nous appelons des groupes fonctionnels (figure 2). Ainsi, les espèces feuillues tolérantes à l’ombre ayant une densité de bois élevée et une grande taille de graine seront incluses dans le même groupe, tandis que les espèces feuillues intolérantes à l’ombre ayant une faible densité de bois et une petite taille de graine formeront un groupe fonctionnel différent. Dans votre boisé, il est donc important de vous assurer qu’il existe une grande diversité de groupes fonctionnels et qu’ils sont bien représentés sur l’ensemble du territoire. C’est donc en favorisant la plus grande diversité fonctionnelle possible que nous préparerons le mieux nos forêts aux incertitudes climatiques et menaces biotiques.

 

 

Plus concrètement, quoi faire dans votre érablière?

Prenons un exemple hypothétique de deux érablières telles que décrites au tableau 1. La première (érablière A) est aménagée intensément pour la production de sirop d’érable depuis longtemps. Elle est largement dominée par l’érable à sucre et dans une moindre mesure par l’érable rouge. La deuxième (érablière B) est une érablière aménagée ou pas pour la production de bois et l’érable à sucre y est moins dominant. Dans les deux cas, on retrouve les mêmes 10 espèces d’arbres. Toutefois comme l’érablière B possède une plus grande équitabilité des espèces, elle est considérée comme plus diversifiée (meilleur indice d’équitabilité, voir tableau 2). Du fait de la grande dominance du genre érable, l’érablière A est en fait très susceptible à une perturbation qui affecterait ce genre et on peut donc parler d’une érablière avec une faible résilience face aux changements globaux. 

Bien que l’érablière B soit plus diversifiée au niveau de son indice d’équitabilité que l’érablière A, son indice de diversité fonctionnelle reste relativement bas (tableau 2), car elle souffre d’un manque d’espèces issues des groupes fonctionnels 1B (conifères tolérants à la sécheresse) et 4 (grands feuillus tolérants à la sécheresse) (voir tableau 1 et figure 2). Autrement dit, les espèces tolérantes à la sécheresse n’y sont que faiblement représentées et cela rend l’érablière B moins résiliente à une période de sécheresse prolongée.

Il est donc clair que ces deux types d’érablières doivent faire l’objet d’un aménagement visant à augmenter leur diversité fonctionnelle afin de les rendre plus résilientes face aux menaces biotiques et abiotiques connues et inconnues. Dans cette optique, le tableau 1 présente un exemple possible d’interventions sylvicoles qui pourraient être entreprises afin de diversifier intelligemment les deux types d’érablières. Dans le cas de l’érablière sucrière (érablière A), les interventions proposées réduiraient la proportion d’érable, et donc la capacité de production acéricole, augmenteraient la proportion des autres espèces et ajouteraient deux nouvelles espèces afin d’augmenter la diversité fonctionnelle du boisé. Dans le cas de l’érablière B, les interventions proposées sont moins drastiques, mais elles visent à avoir une meilleure équitabilité des différentes espèces présentes tout en favorisant la plantation de deux nouvelles espèces venant de groupes fonctionnels peu ou pas présents. Dans les deux cas, il est recommandé de recourir à la plantation d’arbres afin d’enrichir les érablières avec des espèces caractérisées par des traits fonctionnels encore peu représentés. Par exemple, la plantation de chênes et de caryers viendrait pallier les manques au niveau des groupes fonctionnels 1B et 4.  

 

 

Des outils pour calculer la diversité fonctionnelle

Devant l’urgence d’agir face aux changements globaux, notre équipe travaille actuellement sur le développement de nouveaux outils et nouvelles approches visant à guider les aménagistes dans leur planification sylvicole. Ces outils et approches permettront tout d’abord de calculer l’indice de diversité fonctionnelle d’un boisé, mais ils fourniront aussi des recommandations et des stratégies sylvicoles spatialement explicites visant à en optimiser la résilience de vos boisés.

 


 

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