Éclaircie commerciales et amendement du sol : un exemple de sylviculture intensive des jeunes érablières en Estrie


Les jeunes peuplements naturels de structure équienne à dominance d’érable à sucre et d’érable rouge occupent une superficie d’environ 120 000 ha au Québec, principalement dans le sud de la province, un territoire facilement accessible grâce au réseau routier déjà bien développé (figure 1). Les coûts de transformation de la fibre sont avantageux en raison de la proximité des usines et de la présence d’un marché de bois de pâte. Le climat méridional permet aussi d’anticiper une bonne production de bois de qualité supérieure. Malgré ces conditions favorables, les jeunes peuplements ont souvent une densité très élevée, ce qui limite leur croissance et engendre une mortalité par autoéclaircie. De plus, certains sols dans ces régions sont appauvris en cations basiques (principalement en calcium), ce qui peut réduire la vigueur et la croissance de ces peuplements. Il devient donc important de développer des traitements sylvicoles qui favoriseront une production accrue de ces jeunes peuplements.

 

 

Une sylviculture plus intensive des jeunes érablières

L’éclaircie commerciale (EC) permet de récolter une partie des arbres afin de répartir le potentiel de croissance sur un nombre limité d’arbres. À long terme, elle vise à favoriser l’accroissement des arbres de meilleure qualité afin qu’ils atteignent plus rapidement le diamètre à maturité (± 45 cm de diamètre à hauteur de poitrine [DHP]) pour la production de bois d’œuvre de grande valeur. L’EC peut être répétée aux 15 à 20 ans afin de maintenir un nombre suffisant d’arbres d’avenir vigoureux et aptes à réagir aux ouvertures du couvert. L’EC réalisée en bas âge pourrait également servir de première intervention dans un scénario visant à convertir un peuplement vers une structure inéquienne (tailles et âges variés), puisque l’ouverture du couvert stimule la croissance et favorise la régénération de nouvelles cohortes. 

D’autre part, on peut penser que l’EC jumelée à un amendement du sol en calcium pourrait favoriser davantage l’accroissement et la vigueur des érables à sucre, notamment lorsque le sol présente des carences en cations basiques. 

 

Un exemple en Estrie

Un dispositif expérimental de la Direction de la recherche forestière du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a été établi en 2009 en collaboration avec la compagnie Domtar dans la forêt Watopeka, propriété de cette compagnie située près de la ville de Windsor en Estrie. Il s’agit d’une érablière à bouleau jaune issue d’une coupe totale réalisée au milieu des années 1970. La majeure partie de la surface terrière1 initiale est composée d’érables à sucre (40 %), de bouleaux jaunes (30 %), d’érables rouges (10 %) et de hêtres à grandes feuilles (5 %). Cette composition est demeurée relativement stable durant les cinq années suivant la coupe. Les analyses du feuillage de l’érable à sucre et du sol réalisées à partir d’échantillons prélevés lors de l’établissement du dispositif indiquaient au départ des carences en calcium et en potassium.

 

L’étude compte cinq différents traitements 

  •     Témoin sans intervention (surface terrière moyenne de 21,5 m 2/ha)

  •     EC modérée (surface terrière résiduelle moyenne de 13,1 m 2/ha)

  •     EC forte (surface terrière résiduelle moyenne de 11,6 m 2/ha)

  •     EC modérée avec amendement (surface terrière résiduelle moyenne de 13,9 m 2/ha)

  •     EC forte avec amendement (surface terrière résiduelle moyenne de 11,4 m 2/ha).

 

En moyenne, la densité a été réduite de 37 % dans les traitements d’EC modérée avec et sans amendement, et de 49 % dans les traitements d’EC forte. Un martelage des arbres a été réalisé avant la coupe et il visait principalement à identifier les arbres les moins vigoureux et présentant des défauts majeurs qui devaient être récoltés. Les opérations de récolte ont été réalisées à l’hiver 2010 à l’aide d’une abatteuse multifonctionnelle et d’un porteur. Les arbres qui ont été blessés lors de la récolte représentent environ 11 % sur la surface terrière initiale. Le patron de récolte était constitué de sentiers larges d’environ 4 m et espacés en moyenne de 22 m (figure 2). Les mêmes sentiers ont servi à l’épandage de matières résiduelles fertilisantes à l’aide d’un épandeur monté sur un porteur forestier (figure 3). L’amendement était composé de 8 tonnes de boue de chaux et de 15 tonnes de biosolides papetiers à l’hectare.

 

 

Les principaux résultats cinq ans après le traitement

Les résultats après cinq ans montrent que l’accroissement en surface terrière des peuplements est nettement plus élevé dans toutes les EC par rapport au témoin. Ce gain s’explique par une mortalité plus faible au cours de la période quinquennale suivant la coupe, un recrutement plus fort et un meilleur accroissement des arbres (tableau 1). D’ailleurs, le gain en croissance par rapport au témoin varie de 0,7 à 3,9 mm par année, selon la classe de diamètre et l’intensité de l’éclaircie (données non présentées, voir les références à la fin de l’article). Nous n’avons cependant pas obtenu de différences significatives entre les quatre types d’EC, malgré une tendance à une meilleure production dans les deux EC avec amendement. La production en volume est, quant à elle, plus élevée dans les traitements d’EC forte, d’EC modérée avec amendement et d’EC forte avec amendement que dans le témoin.

 

 

Une étude plus détaillée de carottes dendrométriques prélevées sur 140 arbres dominants et codominants démontre néanmoins que l’amendement combiné à l’EC a causé un gain d’accroissement en surface terrière de 35 % de l’érable à sucre comparativement aux EC sans amendement et de 79 % par rapport au témoin (figure 4). Il n’y a pas eu de gain lié à l’amendement pour les autres essences principales (soit le bouleau jaune et le hêtre à grandes feuilles), mais ces essences ont néanmoins bénéficié d’un gain de croissance après l’EC. Les gains obtenus pour l’érable à sucre peuvent s’expliquer principalement par l’augmentation de la disponibilité en calcium dans le sol et par l’amélioration de son statut nutritif, principalement l’augmentation de la teneur en calcium et en phosphore de son feuillage, grâce à l’épandage de la boue de chaux. Ces résultats montrent que l’amendement combiné à l’EC a permis à l’érable à sucre de demeurer l’essence à croissance dominante dans les érablières à l’étude. Cependant, si le peuplement contient une proportion relativement forte de bouleau jaune ou de hêtre, l’apport d’amendement riche en calcium apparaît moins pertinent.

Nouveaux résultats après 10 ans et perspectives de croissance futures
Les effets cinq ans après de l’EC dans ces jeunes érablières sont positifs, puisqu’ils ont permis un gain de production des peuplements. L’amendement du sol a aussi favorisé un gain supplémentaire, l’accroissement des arbres dominants et codominants de l’érable à sucre par rapport à l’éclaircie seule. Une nouvelle mesure des arbres après 10 ans a été réalisée à l’automne 2019 et les résultats préliminaires montrent toujours l’effet positif de l’EC par un gain d’accroissement net similaire par rapport au témoin.

 

 

De plus, ces résultats montrent que l’EC combinée avec l’amendement produit un gain d’accroissement annuel net (ANN) en surface terrière d’environ 20 % comparativement à l’EC seule. Toutefois, l’AAN en surface terrière a diminué durant la deuxième période quinquennale (6-10 ans) de 10 % et 15 % respectivement pour le témoin et pour les EC. Cette baisse est principalement attribuable à une plus forte mortalité dans les EC et un plus faible accroissement annuel des survivants dans le témoin durant cette deuxième période quinquennale. 

Il est difficile d’estimer les perspectives de croissance à plus long terme, seul le suivi du dispositif permettra de mieux quantifier les effets de l’EC et de l’amendement sur la croissance, la vigueur et la qualité des arbres. Toutefois, l’état des connaissances actuelles nous permet tout de même d’émettre certaines hypothèses. Avec l’accroissement de la densité du peuplement et l’augmentation de la proportion d’arbres défectueux par une dégradation naturelle, la mortalité pourrait continuer d’augmenter progressivement dans les EC. Il est également possible que le recrutement diminue, ce qui réduirait l’accroissement net. Ainsi, on peut anticiper que l’accroissement des peuplements éclaircis se rapprochera de celui observé dans les peuplements témoins lorsque la surface terrière aura atteint près de 21 à 22 m2/ha. Cette surface terrière pourra être atteinte environ 15 à 20 ans après l’EC, on pourra alors appliquer une nouvelle EC pour prévenir la perte de vigueur des arbres et maintenir l’espacement nécessaire à l’expansion des houppiers. De plus, cette deuxième EC pourrait permettre une sélection des arbres les plus vigoureux présentant un bon potentiel pour la production de bois d’œuvre. Selon cet objectif, le rattrapage d’un volume marchand brut équivalent à celui du témoin n’est pas souhaitable : on vise plutôt une production accrue en volume des arbres de qualité au lieu de viser une production maximale en volume total du peuplement. 

 


En savoir plus

Pour consulter les deux notes de recherches produites par les auteurs :

www.mffp.gouv.qc.ca/documents/forets/recherche/Note149.pdf 
www.mffp.gouv.qc.ca/documents/forets/recherche/Note150.pdf

 

 

Retour à la recherche

Suivez l’actualité de l’AFSQ   

S'abonner à l'infolettre