Changements climatiques et migration assistée des espèces : Où en sommes-nous?


L’équipe de l’AFSQ a participé au dernier Carrefour Forêts organisé du 24 au 27 avril dernier par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF). À cette occasion, de nombreux chercheurs du MRNF et d’ailleurs ont présenté le résultat de leurs travaux. Plusieurs de ceux-ci portaient sur les changements climatiques et la migration assistée des arbres. Les grandes lignes vous sont résumées ici.


 

Mise à jour sur les changements climatiques

Par définition, les changements climatiques sont des modifications de composantes du climat (température, précipitation, vent, etc.) qui s’éloigne considérablement des moyennes passées et qui semble perdurer. On sait que la température annuelle moyenne a déjà augmenté par rapport à celle du siècle dernier et que d’ici la fin du siècle, au Québec, elle devrait être de 3 à 6 °C supérieure à celle de 1991-2020. De plus, on observe des changements dans les précipitations. Au Québec, on assiste à une variation de leur répartition dans le temps de gros coups d’eau par moments et davantage de sécheresses estivales. Ces dernières seront plus sévères d’ailleurs. 

En plus des changements climatiques, d’autres enjeux vont agir en parallèle et en synergie avec ces derniers. Pensons en outre à l’introduction d’espèces exotiques envahissantes, de ravageurs, de maladies, etc. C’est pourquoi on parle aussi de changements globaux. Tous ces changements vont agir individuellement sur nos arbres ou s’amplifier mutuellement. Pour ces raisons, il est très important de tenter de prévoir la réaction de nos forêts afin de prendre les meilleures décisions possibles en termes de gestion. 

La première étape est d’étudier le climat passé et de prédire son évolution par modélisation. Ensuite, en fonction des connaissances disponibles sur les diverses espèces, on tente d’estimer la capacité de survie et de développement des espèces dans le futur environnement. 

 

La réaction des arbres aux changements climatiques

Morgane Urli, professeure à l’Université du Québec à Montréal, a présenté les résultats d’une étude menée conjointement avec Mme Catherine Périé, chercheuse à la Direction de la recherche forestière (DRF) du MRNF, sur la résistance à la sécheresse de l’épinette blanche, l’épinette noire et le pin blanc. La simulation en serre des conditions de sécheresse prévues dans le futur a causé la mort de 75 % des plants, peu importe l’espèce. De plus, la biomasse des plants survivants était 40 % plus faible que celle des plants n’ayant pas subi de sécheresse. Mme Urli a expliqué que la première réponse d’un arbre à la sécheresse est de fermer ces stomates pour empêcher une trop grande perte en eau, mais ce faisant, ça empêche aussi l’assimilation du carbone. Selon son étude, les épinettes vont mourir de soif alors que les pins blancs vont mourir à la fois de soif et de faim, vu qu’ils ferment leurs stomates plus rapidement.

Loïc D’Orangeville, professeur agrégé à l’Université du Nouveau-Brunswick, a étudié l’effet du climat sur la croissance et la survie des arbres. En forêt boréale, il a observé que la croissance de l’épinette noire, du pin gris, du sapin baumier et du peuplier faux-tremble augmente avec les hausses de température alors que la croissance de l’épinette blanche augmente jusqu’à un maximum puis redescend. Nos connaissances générales sur les espèces montrent que la croissance maximale d’un arbre est atteinte lorsque cet arbre est soumis aux conditions climatiques moyennes de son aire de distribution. Ainsi, plus le climat s’éloigne de la moyenne, positivement ou négativement,  plus la croissance ralentit. Cela veut dire que les arbres poussant en périphérie de l’aire de distribution d’une espèce seront moins performants que les arbres situés au centre de l’aire. Dans un contexte de changements climatiques, il faut considérer que les conditions optimales se déplacent. Par exemple, Marie-Hélène Brice, chercheuse-botaniste au Jardin botanique de Montréal estime que la niche climatique de l’érable à sucre pourrait se déplacer de 1000 km au Nord. 

M. D’Orangeville a aussi observé qu’un réchauffement des températures augmente le taux de mortalité des arbres. Chez le sapin baumier, ce taux de mortalité est accentué par une forte densité des arbres. On pourrait poser l’hypothèse qu’en grand nombre, les sapins doivent davantage se partager l’eau disponible, ce qui accentue le manque d’eau en situation de sécheresse. Une bonne gestion de la densité des peuplements de sapins pourrait donc être un atout dans l’avenir. 

Enfin, M. D’Orangeville a étudié les forêts tempérées en mesurant l’effet des printemps hâtifs sur la croissance. Ceux-ci ont devancé le début de la croissance, mais ils ne semblent pas générer de hausse globale de croissance moyenne annuelle. En fait, les taux de croissance observés lors des étés suivants un printemps hâtif étaient plus bas que ceux dont le printemps a été normal. 

 

 

Les effets des changements climatiques sur les autres êtres vivants

Les arbres ne sont pas les seuls à être affectés par les changements climatiques. Mathieu Bouchard, professeur à l’Université Laval, a étudié leurs effets sur la tordeuse des bourgeons de l’épinette (TBE). Il a remarqué que les températures chaudes rendaient la transition entre certaines étapes de vie de la TBE difficile. En fait, la chaleur influence le passage en diapause à l’automne et induit une hausse de mortalité. Cela implique que les zones d’activité de la TBE devraient, selon les modèles actuels, se déplacer au Nord. 

 

Les adaptations des espèces aux changements climatiques

Chaque espèce répond différemment aux changements climatiques. Une espèce peut se déplacer en fonction de ses capacités de dispersion. Toutefois, les zones climatiques se déplacent au Nord environ dix fois plus vite que la capacité de dispersion moyenne des espèces. Ça laisse donc deux options aux espèces : s’adapter ou disparaître. Selon Catherine Périé, le Québec va assister à une diminution de la qualité de l’habitat de plusieurs espèces forestières indigènes, particulièrement dans la forêt du sud du Québec, causant possiblement la perte d’espèces localement. Si les espèces étaient capables de se déplacer à la même vitesse que le climat, ce serait l’inverse : 31 nouvelles espèces pourraient s’ajouter un peu partout au Québec, tels le bouleau flexible, le micocoulier occidental et le tuliper de Virginie.

Si l’on ne désire pas rester passif devant ces grands bouleversements de la forêt, il est possible d’agir pour aider cette dernière à s’adapter. François Hébert, chercheur à la DRF du MRNF, a d’ailleurs présenté différentes options. 

La première est d’augmenter la résistance des peuplements. Par exemple, on peut réaliser des éclaircies pour gérer la densité des arbres et réduire les stress hydriques potentiels. 

La deuxième option est d’augmenter la résilience des peuplements. Pour ce faire, on peut favoriser certaines espèces qui devraient être mieux adaptées dans l’avenir. Par exemple, la hausse des températures et des sécheresses devrait favoriser l’intensité et la fréquence des incendies. Sachant que le pin gris produit des cônes avant l’épinette noire en forêt boréale et qu’il pourrait être nécessaire de régénérer les forêts moins de 50 ans après leur reboisement, miser sur des plantations mixtes et/ou sur des espèces à révolution plus courte pourrait être favorable. 

La troisième est la transition des peuplements, c’est-à-dire la migration assistée.  

 

La migration assistée

La migration assistée est un outil sylvicole qui consiste à planter des semis d’essences méridionales dans des localisations plus nordiques. Il existe trois types de migration assistée : 

  • Déplacer une espèce au sein de son aire de distribution (ex. prendre des érables à sucre de la Montérégie et les planter dans les Laurentides); 

  • Étirer l’aire de distribution d’une espèce plus au nord (ex. planter des érables à sucre quelques kilomètres au-delà de l’aire de distribution actuelle);

  • Planter des espèces dans une région où elles sont actuellement absentes. Cela pourrait être de planter des érables à sucre en forêt boréale ou de planter des espèces du sud de l’Ontario en Estrie. 

La chercheuse Patricia Raymond, de la DRF du MRNF, en collaboration avec plusieurs collègues de la DRF, les professeurs de l’Université Laval, ainsi que Alejandro Royo et Christel Kern, chercheurs au US Forest Service, ont développé un réseau de sylviculture d’adaptation aux changements climatiques impliquant la migration assistée (exemple de site en photo d’en-tête). Pour chaque nouveau site du réseau, la première étape est de déterminer la provenance des semences à utiliser. Pour ce faire, les chercheurs estiment ce à quoi devrait ressembler le climat futur du site à régénérer. Puis, ils identifient la région qui actuellement a un climat similaire aux prévisions. On appelle ces deux sites des analogues climatiques. Des semences de chaque site analogue sont récoltées et des semis sont produits. Vient ensuite l’étape des expérimentations. Les chercheurs testent les limites des nouveaux semis (résistance à la sécheresse, aux gels tardifs, etc.) en situation contrôlée, puis sur le terrain selon différents scénarios sylvicoles. 

Les premiers essais en serre québécoise ont démontré que pour certaines essences, les semences issues des régions similaires au climat de 2050 ont une meilleure résistance à la baisse de la disponibilité en eau que les semences locales. Le premier site du réseau a été mis en place dans une sapinière à bouleau jaune de la Réserve faunique de Portneuf. Il permet de comparer des espèces qui devraient être moins performantes en 2080 (épinettes blanches et rouges, et thuya occidental), des espèces qui devraient être bien adaptées (érable à sucre, pins blancs et rouges) et des espèces présentement absentes (caryer ovale, cerisier tardif et chêne rouge), et ce, pour ce site en particulier. Bien que l’expérience n’en soit qu’à ses prémisses, Daniel Dumais, chercheur à la DRF du MRNF, a constaté différents éléments intéressants. 

  • Les chênes rouges plantés au nord en coupes totales sont affectés par les gels printaniers alors qu’en sous-couvert, ils semblent être protégés.

  • Les arbres plantés sous un couvert partiel ont une croissance moindre, mais ce couvert facilite l’acclimatation. 

  • Les arbres issus de semences de territoires aux climats semblables à 2050 et 2080 sont mieux adaptés aux stress hydriques, particulièrement les feuillus. 

Ensuite, Julie Godbout, chercheuse à la DRF du MRNF, a présenté l’état des avancées en termes de migration assistée dans les programmes de reboisement du Québec. Pour produire des plants, les pépinières utilisent les semences de leurs vergers à graines et originellement, les plants générés étaient utilisés sur le territoire environnant. Aujourd’hui, à l’aide des données récoltées dans des plantations expérimentales, les chercheurs en génétique du Ministère déterminent les nouveaux territoires où devraient être utilisés les plants issus de chacun des vergers. La redéfinition des territoires attribués aux vergers d’épinettes blanches et noires est faite alors que celle du chêne rouge est en cours. 

Les chercheurs appliquent aussi les principes du flux de gènes assisté à la production de pins blancs, c’est-à-dire que, pour cette espèce, certains plants sont issus de semences provenant d’un verger contenant des pins blancs locaux et des pins blancs issus de sources plus au sud. Ainsi, cela favorise le mélange de gènes entre les arbres de provenances locales (plus froides) et de provenances plus chaudes, ce qui augmente les probabilités que les nouveaux arbres soient adaptés aux conditions incertaines du futur. Cela permet donc à la fois de maintenir une grande diversité génétique, incluant des adaptations locales, tout en diminuant les risques de mésadaptations qui pourraient être liées à l’utilisation exclusive de semences plus méridionales.

 

Se lancer dans la migration assistée

Planter des arbres ou d’autres végétaux à très petite échelle est une chose plutôt facile. Le domaine de l’horticulture le fait d’ailleurs depuis très longtemps. Ça implique parfois des soins additionnels, comme des protections hivernales, car plusieurs végétaux offerts sur le marché ne sont pas adaptés à 100 % à notre climat. En milieu forestier, on ne peut pas attribuer les mêmes soins individuels aux arbres qu’en horticulture. Une bonne planification et de bons choix d’espèces et de mise en œuvre contribueront au succès du projet. Pour cette raison, il est important de se poser quelques questions avant de commencer.  

  • Existe-t-il des risques environnementaux associés à l’espèce ciblée? Elle pourrait mener à l’introduction de nouveaux insectes ou pathogènes. L’espèce pourrait devenir envahissante. 

  • Quelles sont les contraintes opérationnelles du projet? Trouver des semences adaptées peut être très difficile surtout si l’on désire des semences extérieures au Québec (l’introduction de matière végétale étant très réglementée). Ensuite, la certification forestière empêche l’introduction d’espèces exotiques, soit une espèce introduite hors de son aire de répartition. Cela signifie que l’érable peut être considéré comme exotique dans certaines régions du Québec. 

  • Quelles sont les connaissances disponibles de l’espèce? De bonnes connaissances sur une espèce facilitent les décisions et augmentent les probabilités de succès du projet. 

 

 

Dany Hogues, ingénieur forestier au MRNF, a identifié les cinq principaux défis de la migration assistée.

  1. Il faudra adapter le concept d’aménagement écosystémique aux changements climatiques. Ce concept est à la base de la foresterie québécoise en terre publique. Il vise à ce que les travaux forestiers réduisent l’écart entre la forêt actuelle et la forêt précoloniale. Toutefois, dans le contexte actuel, le passé n’est plus garant de l’avenir. 

  2. Il faudra assurer la survie des espèces fauniques. Contrairement aux arbres, plusieurs animaux ont une capacité de déplacement importante. Ces espèces pourront donc suivre le déplacement des zones climatiques. Il faudra être prêt à recevoir les espèces venues du sud. Ensuite, il faudra se questionner sur les refuges et les réserves fauniques actuelles. Pourront-elles servir encore longtemps? Seront-elles adaptées aux futures espèces fauniques locales?

  3. Il faudra favoriser l’acceptabilité sociale de la migration assistée. Une telle pratique va affecter le paysage et les gens sont très attachés à leurs paysages. Par exemple, les feuillus seront graduellement mieux adaptés que plusieurs conifères au nord. Sommes-nous prêts à voir les forêts de conifères se remplir de feuillus ? Une modification des espèces aura aussi des conséquences sur nos activités en forêt, telles la chasse et la cueillette. 

  4. Il faudra aussi procéder à une conversion industrielle. Les entreprises de la transformation de bois ont des besoins précis. Toutefois, la disponibilité en bois risque de correspondre de moins en moins aux besoins locaux. Les entreprises devront donc transiter vers un usage des espèces disponibles. Parallèlement, le consommateur devra aussi s’adapter aux produits disponibles. 

  5. Enfin, il faudra viser un bon équilibre entre productivité et biodiversité. Il ne faudra pas chercher à trouver la « super » espèce de remplacement. Bien qu’on puisse estimer le climat du futur, seul l’avenir nous donnera une réponse précise à ce sujet. En multipliant le nombre d’espèces dans un milieu, en intégrant des feuillus aux plantations et en diversifiant les traitements sylvicoles, on devrait réduire les impacts des futures perturbations. 

 

 


 

 

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