Aménagement forêt-faune : des actions simples pour favoriser la biodiversité


Les travaux d’aménagement forestier peuvent être planifiés en ayant en tête l’objectif de maintenir des habitats fauniques viables, assure la biologiste Amélie Collard, de l’Agence forestière des Bois-Francs (AFBF). À l’occasion du congrès annuel de l’Association forestière du sud du Québec (AFSQ), le 12 octobre dernier, elle a donné quelques conseils aux propriétaires de lots boisés.


 

Le territoire de l’AFBF couvre le Centre-du-Québec, soit 7 088 km2, dont 98 % est de tenure privée. La forêt représente environ 50 % de cette superficie. C’est l’AFBF qui est responsable d’assurer le suivi du plan de protection et de mise en valeur (PPMV) de ce territoire. Lors de la dernière révision décennale de ce plan réalisée en 2015, l’Agence a ciblé certaines problématiques à surveiller, notamment la rareté des vieilles forêts. 

Pour être admissible à l’aide financière de l’Agence, le propriétaire doit se doter à ses frais d’un plan d’aménagement forestier (PAF). « Parfois, le conseiller forestier y intègrera des éléments sensibles, mais force est d’admettre que ce document est incomplet », indique Amélie Collard en parlant des éléments de biodiversité.

L’Agence accorde une aide financière au propriétaire qui désire intégrer l’aménagement faunique à ses activités sylvicoles dans la réalisation d’un plan d’aménagement forêt-faune (PAFF), aussi appelé plan multiressources dans certaines régions. L’aide financière varie de 250 $ à 550 $, selon la taille de la propriété, pour couvrir les frais de l’inventaire réalisé par un technicien faunique. 

 

 

Éléments de biodiversité

Amélie Collard énumère les éléments de biodiversité à considérer lors de l’élaboration du PAFF, où l’on veut préserver les habitats fauniques existants. On cherchera ainsi la présence de vieilles forêts, d’arbres à valeur faunique, de bois mort, de milieux humides et riverains, d’espèces menacées ou vulnérables, d’écosystèmes forestiers exceptionnels, etc.

 

 

Une bonne proportion des propriétaires sont intéressés aux espèces fauniques et sont prêts à mettre les efforts pour maintenir l’habitat de plusieurs de ces espèces : cerf de Virginie, orignal, lièvre d’Amérique, gélinotte huppée, bécasse d’Amérique, grand pic, martre, pékan, etc. L’habitat est la superficie occupée normalement par l’animal pour combler ses besoins vitaux d’abri, d’alimentation et de reproduction.

Pour le propriétaire, le défi est plus elevé lorsque l’espèce a besoin d’un grand domaine vital, comme c’est le cas pour le cerf, l’orignal ou le lynx. Pour le cerf de Virginie, les recherches menées par les experts du ministère québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) ces dernières années ont permis de mieux comprendre les besoins des cervidés. Des couches d’information cartographiques ont ainsi été ajoutées au PPMV. 

S’il y a une carence particulière dans le ravage, l’Agence évalue les peuplements forestiers les plus propices où l’on peut intervenir à court terme. Il faut alors chercher à faire participer les propriétaires aux objectifs d’aménagement forêt-faune. « Aménager les habitats pour les espèces à grand domaine vital est le défi en forêt privée », ajoute Mme Collard.

La biologiste insiste ensuite sur l’importance de l’effet de bordure, aussi appelé lisière ou écotone. Ces bandes périphériques sont des zones de transition entre deux peuplements ou deux milieux différents. On y note souvent une plus grande diversité faunique et floristique. Les conditions y sont aussi plus diversifiées, car on peut y trouver, par exemple, à la fois le couvert d’abri offert par le résineux et de la nourriture fourni par les feuillus. La jonction de ces deux éléments attire les espèces fauniques.

La composition de la strate inférieure, entre le sol et deux mètres de haut, est un autre élément capital à préserver pour le maintien des espèces fauniques. On veut à la fois maintenir la régénération naturelle qui a une valeur commerciale, mais aussi la présence d’arbustes non commerciaux, de plantes herbacées et de fougères qui fournissent l’abri et la nourriture et qui peuvent servir de site de nidification. 

On s’assure aussi d’évaluer la structure horizontale et verticale du peuplement. On voudra conserver des éléments contrastants, par exemple un bosquet, une trouée ou un îlot de pruches au milieu d’une érablière. « Plus la structure est diversifiée, plus cela favorise la faune », dit-elle.

Enfin, l’importance des corridors de déplacement ne doit pas être négligée. « Il y a des secteurs dans la région où la forêt est très fragmentée. On trouve des îlots de forêts entourés de terres agricoles ou de quartiers urbanisés. On s’aperçoit qu’il y a une perte de connectivité pour la petite faune, qui a alors plus de difficulté à se déplacer d’une zone boisée à une autre », précise Mme Collard.

 

 

Les vieilles forêts

La préservation des vieilles forêts est une cible inscrite dans le PPMV du Centre-du-Québec. « Il nous reste seulement 10 % de vieilles forêts dans la région, donc les jeunes forêts dominent. Et dans ce
10 %, on trouve, de manière très majoritaire, des érablières et certaines forêts résineuses », dit-elle. L’AFBF a d’ailleurs publié une brochure sur le sujet. 

La conservation de certains arbres sénescents et de chicots est à privilégier. On y trouve des cavités naturelles ou creusées par des pics. « Ces cavités sont plus tard utilisées par d’autres espèces, comme les oiseaux de proie et des mammifères comme le pékan ou la martre. Les femelles vont mettre bas dans ce type de cavités où les petits seront mieux protégés », note Amélie Collard. 

Le regroupement Québec Oiseaux recommande de maintenir 15 chicots à l’hectare, de taille variable, dont au moins cinq ayant un diamètre de 35 cm et plus. « Si vous pouvez mettre l’accent sur les plus gros chicots, en avoir cinq de bonne taille, c’est l’idéal », clame-t-elle.
Le bois mort au sol est aussi de plus en plus rare. Le constat a été fait dans le PPMV, plus particulièrement dans les érablières. « Ça se comprend pour des raisons de sécurité, tant pour les travailleurs que le propriétaire lui-même, j’en conviens », dit-elle. 

 

 

Le bois mort au sol représente des milieux d’abri pour les petits mammifères. Ce sont aussi des sites propices pour les amphibiens et les reptiles. Quand il est bien décomposé, le bois mort emmagasine de grandes quantités de pluie et libère cette humidité en période de sécheresse, ce qui est bon pour le sol. « En se décomposant, ça redevient de la matière organique qui fertilise le sol et les autres arbres en tirent profit. Ça peut aussi jouer un rôle dans la régénération de certaines essences, comme le bouleau jaune. On a un problème de réduction du volume de bouleau jaune dans le Centre-du-Québec, alors si on veut le favoriser, on doit conserver cette structure au sol », note Madame Collard.

 

Espèces menacées

L’élaboration d’un PAFF ne signifie pas que l’auteur du plan mènera une recherche exhaustive pour trouver des espèces menacées ou vulnérables. On peut cependant se référer à la banque provinciale de données sur la biodiversité, vérifier si l’une d’entre elles a déjà été identifiée sur la propriété. Si tel est le cas, des mesures de mitigation seront proposées, adaptées au contexte de la forêt privée et du propriétaire.

Amélie Collard suggère quelques actions simples pour favoriser la faune et la biodiversité : 

  • diversifier les types de coupe; 

  • ne pas favoriser une seule essence; 

  • créer des formes irrégulières pour multiplier l’effet de bordure; 

  • répartir les travaux dans l’espace et dans le temps; 

  • réaliser les coupes en hiver dans les zones sensibles; 

  • éviter la coupe d’arbres entre la fin mai et la mi-juillet, pour limiter le dérangement sur les oiseaux;

  • conserver les arbustes en sous-étage, de même que les arbres et les arbustes fruitiers, tout comme les aulnaies et les friches, pour les oiseaux champêtres;

  • protéger les rives de cours d’eau avec des traverses temporaires ou permanentes, mais aménagées selon les règles de l’art. 

L’animateur Denis Villeneuve a interrogé la conférencière sur la présence de chicots et les contraintes liées à la santé et la sécurité des travailleurs ou du propriétaire lui-même. Amélie Collard souligne que les travaux de récolte sont souvent réalisés par des abatteuses. L’opérateur de l’équipement y est mieux protégé qu’un ouvrier sylvicole ou le propriétaire qui travaille à pied.

« Dans un contexte d’érablière où le propriétaire fait lui-même les travaux, on comprend qu’il y a un réel danger. Je suggère le compromis de laisser des îlots où le propriétaire accepte de ne pas retourner faire de prélèvement à cet endroit. On laisse le bois mort, les chicots. On peut choisir un endroit où le propriétaire va moins souvent, où la qualité des érables laisse à désirer », indique-t-elle.

Lors de la plénière en fin de journée, Amélie Collard rappelle que l’Agence a mené en 2017 un projet de visites axées sur l’aménagement multiressources. Les quelque 50 propriétaires qui ont reçu des conseils ont montré un grand intérêt selon la biologiste. « Beaucoup de propriétaires sont des producteurs de bois, mais ils veulent rendre leur forêt attrayante pour la faune. Et on sait que cela peut devenir un revenu d’appoint pour eux, avec la location de leur terre pour la chasse. Il faut juste en parler davantage, je pense qu’il y a de l’ouverture pour cela », dit-elle.

 

* L’auteur, journaliste indépendant établi à Québec, couvre le secteur des ressources naturelles depuis 1994.

 


En savoir plus

Consultez le guide de Québec Oiseaux ''Les chicots : plus de vie qu’il n’y paraît'' et la brochure ''Les vieilles forêts : un héritage plein de vie''

 

 

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