Trois décennies de passion et de défis - Un parcours marqué par l’amour de la forêt
Mélanie Bergeron, Biol. M. Sc., AFSQ
Originaire de la Beauce, Sylvio Morin consacre sa vie depuis 30 ans à la gestion de ses boisés et à la production acéricole en Montérégie. Détenteur d’un diplôme en génie forestier, il a choisi avec son épouse (comptable) de s’établir dans une érablière à Dunham en 1995. À l’époque, les emplois se faisaient rares pour leur génération, et Sylvio a pris la décision audacieuse de « s’acheter un emploi » en combinant deux activités : la production de sirop d’érable en vrac et la récolte de bois.
Sylvio se distingue du propriétaire forestier moyen : les activités réalisées sur ses propriétés représentent une partie significative de ses revenus. Aujourd’hui, il possède environ 500 acres de boisé aménagé pour le bois ainsi que près de 30 000 entailles en production.
Puis, dans ses rares moments libres, Sylvio est entrepreneur forestier et offre des services d’abattage manuel à forfait.
L’importance de l’aménagement acéricole
Pour Sylvio, la santé d’une érablière repose sur une gestion proactive de la forêt. « Si on veut produire de grands volumes de sirop et maintenir de bons rendements, il faut aménager la forêt », insiste-t-il. Ça implique de favoriser la croissance des arbres afin de leur permettre de cicatriser rapidement les entailles et d’assurer une régénération constante.
Il se considère comme « avant-gardiste » dans ses stratégies de gestion. À titre d’exemple, il cite son premier aménagement acéricole. Lors de l’achat en 1995, l’érablière était déjà en production. Sylvio était insatisfait des rendements alors au moment de changer la tubulure en 2004, il a entrepris une première coupe. Il a alors discuté avec son conseiller du club acéricole. Comme ce dernier connaît bien Sylvio, il lui a proposé quelque chose de hors du commun : une récolte importante parmi les érables. Il lui a expliqué qu’il aimerait inciter les membres du club à faire de l’aménagement forestier et qu’il aimerait faire une parcelle de démonstration chez lui. Il a proposé de marquer les arbres à abattre sur deux hectares en y « allant à fond dans l’érable ».
« Rentrer dans de l’érable, puis couper beaucoup d’érables, les acériculteurs ont de la misère avec ça. »
Sylvio était un peu septique de couper autant d’érables, ça lui faisait un peu mal au cœur, mais son côté fonceur lui a donné le goût d’essayer. Il s’est même engagé à appliquer le traitement sur ses 220 acres d’érablière s’il était satisfait. Et sans surprise, Sylvio a « aimé ça », il a « trouvé ça beau ». En plus, le retrait des gros érables a permis à la lumière de s’infiltrer et de favoriser la régénération et la croissance.
« C’est dur de couper un bel arbre, mais il faut penser aux 25 prochaines années. »
Cette vision avant-gardiste a porté ses fruits. Les rendements de son érablière dépassent continuellement la moyenne québécoise. Sylvio attribue ce succès à un suivi rigoureux de la santé de ses peuplements et à des pratiques sylvicoles adaptées. L’équipement moderne contribue aussi à l’efficacité de la production, mais, selon lui, « c’est surtout sa forêt en santé qui fait la différence ».
Avant la coupe, la canopée est fermée et laisse passer peu de lumière pour la régénération.
Après la coupe, une belle lumière traverse la canopée.
Zone récoltée ces derniers jours. On voit des souches, mais aussi la régénération induite par la précédente coupe.
Les défis des espèces menacées
L’avenir de la forêt québécoise est fragilisé par plusieurs menaces. Sylvio se désole de la disparition progressive de certaines essences compagnes, notamment l’orme et le noyer cendré, puis maintenant les frênes décimés par l’agrile. « De mon vivant, on va perdre le frêne et le noyer cendré », dit-il avec tristesse.
Comme chaque année, Sylvio s’affaire à récolter du bois. À l’été 2025, on observe chez lui plusieurs frênes moribonds ou récemment morts identifiés pour la récolte. Il se dépêche de les récolter pendant que le bois a encore une valeur marchande. Il est crucial pour lui de ne pas tarder, car les frênes morts deviennent dangereux lorsqu’ils sont laissés en forêt.
Deux frênes à récolter avant de devenir dangereux.
Une passion au-delà de l’érablière
Si l’acériculture occupe une place importante, Sylvio se définit avant tout comme un forestier passionné. Il aime aménager tous les types de forêts : prucheraies, cédrières, pinèdes, etc. Il raconte avec enthousiasme ses interventions réussies pour favoriser la régénération du bouleau jaune, une essence de grande valeur commerciale et écologique.
Pour lui, chaque forêt a du potentiel et mérite une gestion adaptée. « La forêt, c’est comme un jardin. Quand les légumes sont mûrs, il faut les récolter. Mais il faut aussi protéger le sol pour qu’il continue d’en produire », illustre-t-il.
Saviez-vous que cet exemple du jardin fut, en partie, à l’origine du rapprochement de Sylvio et de son épouse, qui avant de le connaître avait une image préconçue négative de l’abattage de bois?
Sensibiliser les voisins et les instances municipales
Aux dires de Sylvio, il y a régulièrement, voire toujours, une nouvelle corde de bois au bord du chemin. Toutefois, cette activité forestière soutenue ne fait pas l’unanimité. Il lui arrive régulièrement d’être critiqué par des voisins qui perçoivent ses coupes comme excessives. D’ailleurs, l’inspectrice municipale a rendu de nombreuses visites à Sylvio : « On a eu une plainte. M. Morin, vous coupez du bois? »
Un peu découragé, mais tout de même patient, Sylvio répondait : « Ben oui, je coupe du bois. C’est mon gagne-pain. » Il expliquait ensuite la logique forestière : créer des trouées, favoriser la lumière, stimuler la régénération. Puis, il précisait que tout était bien encadré : ingénieurs forestiers, agences forestières et syndicats. Le tout pour veiller au respect des normes environnementales et contribuer réellement à la santé du boisé.
Malheureusement, cela n’a pas fait arrêter les commentaires de certains voisins. Pour le grand public, « on est pas mal tous des criminels, les coupeurs de bois », remarque-t-il. C’est pourquoi Sylvio poursuit ses efforts de sensibilisation. Heureusement, il ne lutte pas seul. L’un de ses voisins a spontanément été à la rencontre d’une personne particulièrement négative, lui a demandé de se montrer patiente et lui a expliqué que dans un ou deux ans, la forêt sera complètement nouvelle. Ce soutien démontre que le souci de Sylvio pour les aménagements de qualité se voit et peut convaincre les gens… avec un peu de patience.
Une vision à long terme
Malgré les embûches, Sylvio demeure un défenseur convaincu de l’aménagement forestier. Il considère chaque intervention comme un investissement pour les 20 à 30 prochaines années. Son objectif n’est pas seulement économique : il souhaite aussi léguer une forêt diversifiée et résiliente aux générations futures.
Avec une vision à long terme et une gestion adaptée, la forêt peut continuer à nourrir, à abriter et à faire vivre les familles. « On aménage aujourd’hui pour ceux qui viendront dans 20 ou 25 ans », résume-t-il, fidèle à sa philosophie de forestier passionné.