De l’entrepreneuriat à l’acériculture - Le pari audacieux de Marco Charland
Mélanie Bergeron, Biol. M. Sc., AFSQ
Après avoir géré un dépanneur, un restaurant et même un terrain de camping, Marco Charland aurait pu choisir une retraite tranquille, mais l’appel de la terre et du sirop d’érable s’est imposé à lui comme une nouvelle aventure. Depuis cinq ans, il s’active à transformer un boisé de Havelock en Montérégie-Ouest en érablière moderne. Son premier sirop pourra être dégusté dès février. Un projet de longue haleine, semé d’embûches, mais porté par une conviction : la persévérance est la clé de toute réussite.
Du camping à la cabane à sucre
« Avant ça, j’avais un terrain de camping à la Frontière Enchantée », raconte Marco Charland. Après avoir vendu son commerce, il a acheté une propriété incluant un grand terrain boisé. L’idée de le louer à un acériculteur lui a traversé l’esprit, mais le projet s’est vite avéré trop compliqué. « J’ai décidé de m’occuper moi-même de la forêt », dit-il.
Lui qui n’avait jamais touché à l’acériculture s’est lancé tête première dans ce nouveau défi. Dès le départ, il a compris que ce ne serait pas une entreprise rapide. « Ça a pris quatre ans avant d’arriver à la production », souligne-t-il. Entre l’aménagement forestier, l’installation de la tubulure et la construction d’une cabane à sucre complète, chaque étape demande temps, ressources et expertise.
Un projet réglementé et coûteux
Au Québec, la production de sirop d’érable est encadrée. Impossible de vendre des quantités significatives sans quota. Marco a eu la chance d’en obtenir relativement vite. « J’ai eu mon quota dans la vague des 7 millions d’entailles supplémentaires que le gouvernement a distribuées. »
Mais ce coup de pouce ne réglait pas tout. Monter une érablière représente des investissements colossaux. « Ça a coûté un million pour partir ça », confie l’entrepreneur. Sans le soutien de la Financière agricole du Québec, un tel projet aurait été irréalisable. « Les banques ne prêtent pas à quelqu’un qui n’a pas encore produit. La Financière, elle, se fie au quota et à la projection de revenus. C’est ce qui rend possible le financement. »
Même avec ce soutien, les frais s’accumulent : construction de la cabane, achat des équipements, installation électrique par Hydro-Québec, aménagement du terrain. « Hydro-Québec, c’est une autre histoire. Ça fait un an que j’attends pour avoir du 600 volts. Tout prend du temps. »
Le défi du bois et des hommes
Si trouver un ingénieur forestier pour planifier l’aménagement de la forêt n’a pas posé trop de problèmes, recruter des travailleurs pour le nettoyage et la coupe d’arbres s’est avéré plus difficile. « Les bûcherons sont rares. Tu peux attendre deux ou trois ans avant d’en trouver un disponible. » Il ne faut pas tarder à faire ses recherches.
Ensuite, le travail en forêt, ça use. « Le bois, ce n’est pas doux. Ça brise la mécanique. Faut connaître un minimum de mécanique ou avoir un bon mécanicien, sinon tu es toujours en panne. »
Marco, qui possédait déjà de la machinerie grâce à ses précédentes entreprises, a pu limiter les coûts. Mais pour quelqu’un qui part de zéro, « acheter une érablière sans avoir d’équipement, c’est presque impensable ».
La persévérance comme moteur
Interrogé sur la qualité essentielle pour se lancer en affaires, Marco Charland n’hésite pas une seconde : « La persévérance. Si tu arrêtes au premier non, tu ne feras jamais rien. »
Lui-même en a fait l’expérience plus d’une fois. Lorsqu’il a voulu acheter son camping, il lui a fallu deux ans de démarches avant de décrocher le financement nécessaire. Aujourd’hui encore, avec son érablière, il multiplie les démarches, les attentes et les négociations.
« Tu vas te faire dire non dix fois avant d’avoir un oui. Faut pas se décourager. Il faut trouver la personne qui croit au projet autant que toi. »
Cette ténacité, il la tient en partie de son père, un homme de la terre. « Mon père avait des vaches laitières. Il ne savait pas lire ni écrire, mais c’était un travaillant. Ça m’a inspiré. »
Rentabilité et vision d’avenir
Beaucoup d’acériculteurs répètent qu’acheter et développer une érablière aujourd’hui ne permet plus de rentrer dans son argent. Qu’en pense Marco Charland?
« Moi, je vais être capable parce que j’ai vendu une entreprise avant. Quelqu’un qui part sans capital de départ, c’est difficile. » Les coûts de démarrage sont trop élevés, et les programmes de financement ne couvrent pas toutes les dépenses.
Son plan repose sur deux volets : produire à partir de ses 10 000 entailles actuelles et transformer l’eau d’érable provenant d’une terre voisine qu’il a louée. « Mon profit va venir de la terre que je loue. Comme je n’ai pas à bâtir de cabane ni acheter de nouvelles machines, ça coûte beaucoup moins cher et rapporte davantage. »
Sa conjointe envisage même de diversifier la production avec des produits transformés : tartes, bonbons et autres douceurs. Une façon d’élargir l’offre et de mieux rentabiliser les installations.
Une leçon d’entrepreneuriat
En racontant son parcours, Marco Charland dresse un portrait réaliste de l’entrepreneuriat au Québec. « N’importe quelle entreprise, ce n’est jamais facile à démarrer. Tu dois répondre à des dizaines de demandes du gouvernement, gérer les taxes, les impôts… »
Mais malgré tout, il n’échangerait sa place pour rien au monde. « Je n’ai pas pris ma retraite, finalement. J’ai autant d’ouvrages qu’avant, mais je fais quelque chose que j’aime. »
Pour lui, chaque difficulté franchie est une victoire. « La qualité essentielle, c’est d’être fait fort. Tu ne peux pas lâcher. »
Un avenir prometteur
Alors que sa cabane neuve attend ses derniers ajustements électriques et que la tubulure est presque entièrement installée, Marco Charland se prépare à vivre son premier vrai printemps des sucres.
« On sera prêts en février. On a hâte que ça commence », dit-il avec un sourire. Derrière cette phrase simple se cache un travail colossal de plusieurs années.
Son message est clair : tout projet, même le plus ambitieux, est possible avec détermination. « Persévérance, c’est le mot d’ordre. Si tu y crois, si tu travailles, tu vas y arriver. »
À l’heure où bien des jeunes hésitent à se lancer en affaires, le parcours de Marco Charland illustre qu’avec patience, courage et vision, les rêves peuvent devenir réalité. Et, au bout de l’effort, coule un sirop doré au goût de victoire.
La nouvelle cabane prête pour sa première saison de production