Une vie au rythme de la forêt - Le parcours de Daniel Bourgeois
Mélanie Bergeron, Biol. M. Sc., AFSQ
À Roxton Falls, au coeur de la Montérégie, Daniel Bourgeois veille depuis plus de trente ans sur un boisé de 63 acres. Pour lui, la forêt n’est pas qu’un espace de production : c’est un milieu de vie, un héritage et un trésor qu’il s’efforce d’entretenir avec patience et respect. Son parcours témoigne d’un rapport à la nature profondément enraciné dans ses valeurs et dans une vision de durabilité.
Une passion née de la chasse
Lorsque Daniel Bourgeois acquiert sa terre en 1992, il cherche d’abord un lieu de chasse. « Je ne voulais pas investir dans un bloc d’appartements, raconte-t-il. Moi, c’était la chasse et la forêt. » Le terrain, une ancienne érablière exploitée des décennies plus tôt, est alors envahi de broussailles. L’endroit n’a rien d’accueillant, mais il y voit un potentiel immense.
Dès les premières années, le défi est de taille. Les sentiers sont inexistants, l’équipement rudimentaire, et le travail demande une endurance considérable. Avec son père, il commence à récolter du tremble pour le vendre à une usine de palettes située à quelques kilomètres. Le rythme est exigeant : de nombreuses heures à scier et à transporter le bois en journée suivies de son quart de travail en soirée. Mais la motivation est là, nourrie par la volonté de bâtir quelque chose de durable.
Apprendre à connaître la forêt
Avec le temps, Daniel Bourgeois s’informe sur la forêt. Aidé de techniciens forestiers et d’ingénieurs, il apprend à reconnaître les essences et l’art des coupes sélectives. Il comprend que chaque arbre a un rôle à jouer, et que l’entretien doit se faire avec prudence.
« Moi, j’aime voir les arbres debout, dit-il. Une forêt doit être résiliente. Si on coupe trop, trop vite, elle devient fragile face aux vents, aux maladies, aux changements climatiques. »
La chaleur du bois de chauffage devient un argument supplémentaire pour valoriser sa ressource. Depuis 1988, il chauffe sa maison au bois, convaincu que cette énergie lui apporte un confort incomparable.
« L’électricité, ça chauffe les factures, mais pas les maisons, lance-t-il en souriant. » Mais au-delà du confort, il y voit surtout une manière de valoriser durablement ce que la nature offre.
Puis, au fil des années, il participe activement à différentes formations. Les conseils reçus l’aident à améliorer la productivité de son boisé tout en respectant sa biodiversité.
Le choix de la simplicité
Contrairement aux grands producteurs forestiers, Daniel n’a jamais compté sur une machinerie lourde. Il travaille avec les outils à sa disposition : un petit tracteur avec chargeuse, une remorque, et surtout, ses bras. « Ce n’est pas facile pour un petit producteur, explique-t-il. Les gros ont leurs bûcheuses et leurs camions. Moi, je fais ça à petite échelle, mais je veux que ça reste profitable. »
Cette façon de faire implique des efforts, mais Daniel assume ce choix. Pour lui, la débrouillardise fait partie de son mode de vie. Elle lui permet aussi de garder un contact direct avec la forêt, de « sentir » le travail accompli, plutôt que de le déléguer.
Cette réalité soulève, selon lui, une question plus large : comment soutenir les petits propriétaires forestiers? L’accès à de l’équipement adapté reste limité. De plus, les coûts de transport pèsent lourdement sur la rentabilité. Pourtant, Daniel persiste, convaincu que l’effort en vaut la peine.
Entre la forêt et la famille
Tout au long de sa vie, Daniel a dû jongler entre sa passion pour le bois et ses responsabilités familiales. Durant certaines périodes, il passait beaucoup de temps à travailler dans la forêt, alors qu’à d’autres moments, il choisissait de lever le pied pour se consacrer davantage à sa famille.
« Quand mes enfants étaient plus jeunes, j’ai mis la hache de côté bien des soirs pour être avec eux. La forêt, elle ne bouge pas, mais les enfants, eux, grandissent vite », dit-il.
Cet équilibre, parfois difficile à trouver, reflète ses valeurs : la forêt est un pilier, mais la famille demeure une priorité.
Un engagement qui se poursuit à la retraite
À 53 ans, après trois décennies dans l’industrie, Daniel prend sa retraite. Loin de se reposer, il s’investit encore davantage dans son boisé. Chaque saison apporte son lot de travaux : éclaircies dans sa plantation de pins rouges, entretien des sentiers, récolte de bois de chauffage.
Ses journées sont rythmées par ce qu’offre la forêt. « C’est un mode de vie. Si je ne bouge pas, je dépéris. La forêt, ça m’occupe la tête et le corps. »
La forêt comme rempart contre la crise climatique
Pour Daniel Bourgeois, la valeur de la forêt dépasse largement la simple production de bois. Elle représente une réponse directe aux défis climatiques qui s’intensifient.
« La planète boue, dit-il sans détour. On parle beaucoup des changements climatiques, mais pas assez des solutions. Et pour moi, la solution, c’est simple : protéger nos forêts, reboiser, et arrêter de les perdre. »
Il illustre son propos par ses propres observations : la fraîcheur d’un sous-bois comparée à la chaleur suffocante d’un champ dénudé, la différence de plusieurs degrés qu’apporte une rangée d’arbres au bord d’une route, ou encore la résilience accrue d’un boisé diversifié face aux tempêtes.
« Rien que marcher dans un sentier forestier à l’ombre fait comprendre la valeur de ce qu’on a. »
Un trésor à transmettre
La question de la transmission revient souvent dans ses paroles. Pour Daniel, sa forêt n’est pas seulement un espace de travail ou de loisir : c’est un patrimoine naturel qu’il souhaite léguer. « J’aimerais que mes petits-enfants puissent, un jour, profiter de ce bois-là. L’ombre, la fraîcheur, ça vaut plus que de l’or. »
Ce désir fait écho à l’une de ces inquiétudes : l’étalement urbain qui gruge année après année des parcelles forestières en Montérégie et ailleurs. « Chaque fois qu’on remplace une forêt par un stationnement, on perd bien plus que des arbres. On perd un climat, on perd un équilibre », dit-il.
Le reflet d’une philosophie de vie
Pour Daniel Bourgeois, la forêt est à la fois un gagne-pain, un terrain de jeu et un legs. Mais elle est surtout un trésor à préserver. « Un arbre, ça prend une vie à pousser. Si on ne fait pas attention, on détruit en quelques années ce que la nature a mis des décennies à bâtir. »
Son témoignage rappelle que l’avenir des forêts privées passe par l’engagement de leurs propriétaires, souvent des passionnés qui, comme lui, travaillent à petite échelle, avec des moyens modestes, mais une volonté immense.
Au-delà des chiffres et des débats sur l’industrie forestière, l’histoire de Daniel Bourgeois met en lumière une vérité simple : la forêt n’est pas seulement du bois à vendre, c’est un milieu de vie qui protège, rafraîchit et nourrit. C’est un patrimoine qu’il faut entretenir avec soin, pour aujourd’hui et pour demain!