Articles printemps 2025

 

Les loups, les coyotes et leurs hybrides : vers un changement de régime alimentaire chez les grands canidés du Québec ?

Tom Aubry, candidat à la M. Sc. Biol., Institut des Sciences de la Forêt Tempérée

 

L’arrivée des coyotes dans la belle province durant le siècle dernier est à l’origine de quelques histoires d’amour charnel entre ces derniers et les loups. Cette hybridation pourrait avoir un effet sur l’écologie des grands canidés présents sur le territoire québécois et les relations prédateurs/proies. Quel est le rôle des coyotes de l’Est, des loups et de leurs hybrides dans les écosystèmes forestiers québécois, notamment en ce qui concerne la régulation des populations de proies?

Les loups au Québec et leur place en tant que super-prédateurs 

Bien qu’aucune population de loup ne semble établie sur la rive sud du Saint-Laurent, ces prédateurs sont bien présents dans les forêts de la rive nord. Qualifiés de prédateurs apex en raison de leur place au sommet de la chaîne alimentaire, ces grands canidés font des cerfs de Virginie, des orignaux, des caribous et des castors leurs mets favoris. 

Par leur prédation, ils régulent ou limitent les populations de nombreuses espèces herbivores ou prédatrices, diminuant par le fait même les pressions de broutement et de prédation dans les écosystèmes, et favorisant ainsi la biodiversité. Ils empêchent également la propagation des maladies en choisissant d’abord les proies malades ou en mauvaises conditions physiques. Les loups, comme de nombreux grands prédateurs, obéissent à la loi du moindre effort, en concentrant leur énergie vers les proies les plus faciles d’accès selon leur vulnérabilité relative et leur disponibilité. Mais alors, les animaux d’élevages seraient-ils de parfaites proies dues à leur facilité d’accès? Non, car les loups sont très craintifs envers les humains et s’ils ont le choix, ils préféreront les proies sauvages aux proies domestiques!

De fait, l’alimentation d’un loup dépendra avant tout des proies présentes dans son environnement, allant des cerfs et orignaux en forêts décidues jusqu’aux caribous dans les forêts nordiques de la toundra et de la taïga. Annuellement, les cervidés sont les plus représentés dans le régime alimentaire de ces grands canidés, mais quelques variations saisonnières peuvent se dessiner. 

 

 

L’hiver est marqué par une prédation plus intense sur les grands ongulés du fait de leur capacité de déplacement réduite dans la neige, facilitant ainsi leur capture par les meutes de loups. L’été, ces derniers se permettent un régime alimentaire plus varié, intégrant parfois d’autres proies, plus petites, telles que les lièvres et les castors. 

Dans le règne animal, les comportements sont rarement entièrement innés ou acquis. Un juste mélange de la génétique et de l’expérience de chacun façonne leur écologie comportementale. Bien que génétiquement taillés pour chasser de grandes proies, l’expérience de vie de chaque loup aura également son importance, en plus de la disponibilité des proies et de la saison, dans le choix de ses stratégies de chasse et de ses préférences alimentaires. 

La chasse et la mise à mort sont des moments essentiels et rien n’est laissé au hasard pour garantir le succès de chasse le plus élevé possible. Celui-ci est souvent très élevé, car les loups peuvent poursuivre leur proie pendant plusieurs jours pour obtenir leur butin, entraînant cette dernière en terrain compliqué et rempli d’obstacles. Une fois la proie tuée, la carcasse complète sera décharnée et engloutie en quelques jours par une meute, jusqu’aux os! Souvent facile d’accès, les carcasses peuvent représenter un fort pourcentage de leur régime alimentaire. En moyenne, ce n’est pas moins de 2 à 3 kg de viande ingérée par un loup quotidiennement.

Jusqu’alors, les loups, maîtres des forêts québécoises, n’avaient pas de concurrences, c’était sans compter sur l’arrivée des coyotes durant le siècle dernier…

 

 

L’arrivée du coyote dans la belle province 

Arrivant rapidement de l’ouest de l’Amérique du Nord, les coyotes dits « de l’Ouest » ont profité de la diminution des populations de loups pour s’installer dans les contrées de l’est du continent. La première étape de leur expansion débute au XXe siècle et fut la traversée de la région des Grands Lacs, étape décisive pour leur écologie. Ces terres sont occupées par les quelques populations de loup de l’Est restantes. Partageant déjà un peu de matériel génétique issu de leur séparation en deux espèces distinctes, il y a près de 700 000 ans, les retrouvailles avec ces derniers ont été marquées d’épisodes d’hybridations. Cela a conduit à un léger apport supplémentaire de gènes de loup chez les coyotes en dispersion. Habituellement, des barrières comportementales ou physiologiques empêchent ces croisements, mais ces barrières peuvent tomber entre deux espèces génétiquement proches lorsque le nombre de partenaires est limité, rendant l’hybridation possible. 

Génétiquement composés à 60 % de coyote, 30 % de loups et 10 % de chien en moyenne, ces individus sont appelés « coyotes de l’Est ». Ils se sont dispersés dans tout l’est du Canada, posant une première patte au Québec, en Outaouais, en 1944. Quelques décennies ont suffi pour que ces derniers se rendent jusqu’en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine et au Labrador en 1995. Aujourd’hui, ils occupent une grande variété d’habitats : forêts feuillues, forêts boréales et divers milieux modifiés par l’homme. Très présents sur la rive sud où l’absence de loups leur permet d’atteindre de fortes densités, ils sont moins nombreux sur la rive nord puis limités au nord de la forêt boréale en raison de la présence des loups gris.    

 

L’écologie des coyotes de l’Est

L’apport de gènes de loup ne fut pas sans conséquences sur l’écologie des coyotes de l’Est, les rendant uniques en leur genre. Restant généralistes et opportunistes, ils sont cependant adaptés à une plus grande variété d’habitats que leurs homologues de l’Ouest, ce qui a permis leur expansion rapide partout au Québec. 

En effet, ces nouveaux coyotes sont désormais aptes à s’installer aussi bien en milieu agricole, urbanisé qu’en milieu très forestier, peu exploité par les coyotes de l’Ouest. Ils sont aussi très imposants, pouvant atteindre plus de 20 kg contre 9 à 14 kg pour leurs cousins de l’Ouest. Leurs caractéristiques crâniennes, telles que la taille des mâchoires, du crâne et des muscles de mastication, ont aussi augmenté de manière significative. 

Contrairement aux coyotes de l’Ouest, qui sont incapables de chasser et de s’attaquer à des cerfs de Virginie adultes, les coyotes de l’Est le font de manière significative dans certaines régions! Au sud du fleuve, ils peuvent même être considérés comme des prédateurs apex selon certaines études. Cependant, cela ne signifie pas que les coyotes ont totalement remplacé le rôle des loups, loin de là! Bien que capables d’impacter fortement certaines populations de cerfs, les coyotes ne semblent pas avoir le même effet stabilisateur que les loups sur les grands cervidés du Québec, mais au contraire, semblent provoquer de nombreux effets déstabilisateurs, prédatant, parfois de manière intensive, des populations de cerfs de Virginie en fort déclin ou rares. Aussi, leur caractère encore très omnivore, surtout durant l’été, et leur capacité très discutable à prédater les orignaux adultes renforcent l’idée qu’ils n’occupent pas le même rôle écologique que les loups.

Leur alimentation est très variée et leurs habitudes alimentaires présentent quelques similitudes avec les loups telles que l’effet saisonnier, plus marqué chez les coyotes qui vont troquer leur régime carnivore d’hiver pour un régime omnivore en été, où les fruits peuvent représenter plus de 50 % de leur alimentation. Les oiseaux, les invertébrés, les petits mammifères apparaissent aussi dans leur régime alimentaire. À l’année, les cerfs de Virginie et les lièvres sont ses proies principales au Québec. 

 

Que se passe-t-il sur la rive nord ? 

La rive nord, à la fois occupée par les loups et les coyotes de l’Est, forme une zone très active d’hybridation. Le nord du fleuve serait peuplé de nombreux grands canidés où les hybrides loup/coyote de l’Est représenteraient, selon une étude, près de 35 % des individus échantillonnés en forêts décidues! Sachez qu’il est parfois, très difficile de différencier morphologiquement les loups, les coyotes et leurs hybrides en raison des taux d’hybridations élevés.

Sur la rive nord du Québec, peu de données sur l’écologie de ces prédateurs sont disponibles pour le moment. En Ontario, les hybrides tendent à former des intermédiaires entre les deux espèces parentes. Quelques cas de prédations sur les orignaux par des coyotes de l’Est et/ou des hybrides ont été publiés récemment, soulevant de nombreux questionnements sur leur rôle écologique dans les écosystèmes forestiers. 

Un projet en cours pour renforcer les connaissances et le rôle de ces grands canidés au Québec!
Le projet que je mène à l’Institut des Sciences de la Forêt Tempérée, Université du Québec en Outaouais (UQO), porte sur les conséquences de l’hybridation entre loups et coyotes sur leur régime alimentaire. Ce projet s’étend sur une grande partie de la rive nord et apportera, je l’espère, de nombreuses réflexions et clarifications quant aux rôles de chacun dans les écosystèmes forestiers québécois, notamment concernant la régulation des populations de proies.

 

Mais comment étudie-t-on le régime alimentaire d’espèces sauvages?

Les relations prédateurs/proies définissent la plupart des dynamiques au sein des écosystèmes et des réseaux trophiques. Comprendre le rôle de chaque espèce au sein de ce réseau est crucial pour adopter de bons plans de conservation et de gestion et cela commence par la compréhension des habitudes alimentaires de chacune.
Les échantillons fécaux sont utilisés depuis toujours pour étudier le régime alimentaire d’espèces sauvages. Traditionnellement, ces échantillons sont disséqués et chaque élément est inspecté au microscope et identifié (poils, os, tissus…). Évidemment, cette méthode dite « traditionnelle » est peu coûteuse, mais très longue, peu résolutive et sujette à de nombreux biais d’identification.

Depuis quelques années, les méthodes basées sur l’ADN se sont développées pour rendre ces études plus objectives, rapides et précises. Les fèces sont, dans ce cas, une source d’informations précieuse et non invasive où l’ADN des proies ingérées par le consommateur peut y être détecté. 

 

 

Dans ce cadre, la métagénomique fécale est une méthode de plus en plus utilisée pour les études de régimes alimentaires. L’ADN est d’abord extrait des fèces puis amplifié. L’étape d’amplification est cruciale en métagénomique, et le choix des amorces durant cette étape l’est encore plus. Ces dernières sont les actrices principales de l’amplification, ayant pour rôle de cibler le fragment d’ADN qui sera amplifié. Appelés code-barres ou marqueurs, ces fragments d’ADN sont nombreux et spécifiques à une espèce ou à un groupe d’espèces. On en retrouve pour les mammifères, oiseaux, vertébrés, plantes, bactéries…

Maintenant que l’ADN est amplifié, il faut pouvoir le lire! C’est l’étape de séquençage qui permet de révéler les séquences ADN qui ont été amplifiées. Des bases de séquences de références en ligne (BOLD ou NCBI) permettent d’identifier l’appartenance de ces fragments d’ADN à une espèce. 

Pour la présente étude sur les grands canidés du Québec, des amorces ciblant une région de l’ADN mitochondrial 12S (code-barres communs aux vertébrés) et une région du gène chloroplastique trnL (code-barres communs à de nombreuses espèces végétales) permettront d’identifier les proies et les plantes/fruits présents dans les fèces échantillonnées. Comme l’ADN du grand canidé est présent dans ses selles, cela permettra d’identifier également le type de canidé (loup, coyote ou hybride) et son niveau d’hybridation, et de mettre en relation ces informations avec son régime alimentaire. 


En savoir plus

Tom Aubry, candidat à la M. Sc. Biol., Université du Québec en Outaouais (UQO), Institut des Sciences de la Forêt Tempérée (ISFORT) 

aubt03@uqo.ca   •   isfort.uqo.ca/etudiants/tom-aubry

 

 

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