Articles printemps 2025

 

Le loup : un prédateur essentiel pour l’équilibre de nos écosystèmes et méconnu du grand public

Sarah Bayeul, candidate à la maîtrise en Sciences, ISFORT, Université du Québec en Outaouais

 

Le loup est souvent représenté dans l’imaginaire collectif comme le vilain, le méchant, souvent utilisé comme métaphore de l’expression : « l’homme est un loup pour l’homme ». Cependant, le loup occupe un rôle important pour l’écosystème. Connaître son rôle et son mode de vie permet de lui redonner sa place en tant qu’espèce clé à conserver pour notre bien-être à tous.

Origines et écologie du loup

Le loup est une espèce indigène en Amérique du Nord. C’est-à-dire qu’il est arrivé sur le territoire sans intervention humaine et s’y est établi il y a longtemps. De fait, il a évolué et s’est adapté au même titre que toutes les espèces vivant sur le continent. On reconnaît différentes espèces de loup à travers le monde qui ont évoluées avec leur climat et les proies présentes dans leur environnement. Au Québec, on retrouve trois écotypes de loups. Le loup gris, présent au nord du 50e parallèle, vit dans la toundra, la taïga et la forêt boréale. Il est grand et de forte carrure. Le loup boréal, réparti au sud du 50e parallèle, est plus petit que son cousin le loup gris, mais reste robuste et vit dans les forêts conifériennes et mixtes. Enfin, le plus petit de tous est le loup de l’est. Il vit dans les climats plus doux au sud du Québec, dans les forêts mixtes et feuillues.

Imaginons qu’une jeune louve d’un an et demi vient de quitter sa meute natale au sud du Québec. Suivons-la afin de comprendre son mode de vie. Elle chasse seule, des castors le plus souvent, mais elle est tout à fait capable de chasser de grosses proies telles que les orignaux ou les cerfs de Virginie. Notre louve est carnivore et se trouve au sommet de la chaîne alimentaire. Elle est ce que l’on appelle un « prédateur apex ». Lors de la chasse, elle cible les animaux vulnérables : malades, blessés, très jeunes ou vieux. Cette méthode de chasse, propre à tous les prédateurs puisqu’elle augmente leur succès de chasse, permet de faire le tri entre les individus, réduit les maladies et favorise la présence d’individus forts et résistants. La santé et la résistance aux changements de la population générale s’en trouvent améliorées, et cela stimule la reproduction des proies. Mais l’action de notre louve ne se limite pas à cela et c’est ce qui en fait une espèce clé pour son environnement. En effet, elle va aussi chasser les mésoprédateurs, qui sont des carnivores plus petits tel le raton laveur. L’effet produit sur eux est semblable à celui des autres proies. Leur régulation permet d’éviter les surpopulations et d’atteindre la capacité de support de l’écosystème (un équilibre entre la demande et la production végétale ou animale). De plus, grâce à ses chasses réussies, les restes de ses proies nourrissent les charognards, enrichissent la terre et permettent à la forêt d’être plus en santé. 

Après un voyage de plusieurs kilomètres, à la recherche d’un partenaire, notre louve trouve un territoire qui lui semble idéal. Il comporte une grande étendue forestière avec peu d’humains et très peu de routes. La forêt est parsemée d’anciens chemins forestiers et de rivières qui facilitent ses déplacements et qui lui permettent de voir sur une longue distance. La forêt est mixte à dominance feuillue, mais avec des îlots de conifères. Les peuplements forestiers ne sont pas trop âgés, ce qui favorise la présence de proies. Il y a aussi beaucoup de zones humides créées par les castors. 

Jusqu’à présent, notre louve s’est faite plutôt discrète, évitant d’être trop proche des limites territoriales des meutes environnantes. Elle n’a pas fait trop de bruit ni laissé de traces olfactives assumées pour ne pas attirer l’attention. Mais désormais, plus éloignée des territoires des autres loups, elle se permet de laisser des marques de sa présence en urinant à certains endroits et en hurlant afin de signaler sa présence dans l’espoir de trouver un congénère. 

Au bout de plusieurs jours, un loup mâle se présente. Ils se reniflent, jouent et marquent ensemble les limites de leur territoire en urinant en tandem (l’équivalent du mariage!) aux abords des routes secondaires, rivières et lacs qui définissent les limites de leur territoire. Une nouvelle meute vient de se former.

 

La hiérarchie de la meute

On peut tout de suite démentir la théorie du mâle alpha, du bêta et de l’oméga en ce qui concerne la hiérarchie de la meute! Cette théorie a d’ailleurs été elle-même démentie par son créateur. Les loups sont des animaux sociaux qui vivent en meute sur un territoire défini et très grand. La taille varie entre 199 et 397 km2 au Québec et est fonction de la densité des proies. 

La meute, c’est avant tout deux individus reproducteurs, auxquels s’ajoute ensuite leur descendance, qui vivent sur un territoire censé répondre à leurs besoins (oui, parce que certains loups font de mauvais choix). Bien que la meute soit en général constituée d’une famille composée d’un couple et de leurs petits, il y a parfois des adoptions d’autres membres n’ayant aucun lien familial avec les parents. Ces individus ne se reproduisent pas, mais ils participent aux activités de la meute telles que la chasse, la défense du territoire et l’élevage des petits. Une meute peut se former à n’importe quel moment de l’année et le nombre d’individus qui la composent influence la survie de cette dernière. Par exemple, une meute de quatre individus aurait besoin d’un territoire de 75 km2 minimum pour satisfaire les besoins nutritionnels de chacun. 

La meute formée dans l’exemple plus haut n’est pas très éloignée de ses voisins et encore heureux, parce que si elle avait été seule et isolée des autres meutes de loups, elle aurait eu moins de chances de persister.

Un peu comme nous, les loups ont des voisins et il peut y avoir des histoires de voisinage si les limites des territoires ne sont pas respectées. Par exemple, si le territoire d’une meute ne contient pas assez de proies pour les sustenter, des attaques entre meutes peuvent avoir lieu parce que l’un des deux groupes veut étendre son territoire sur celui du voisin. Les batailles entre loups peuvent être mortelles, mais restent rares, ce qui en fait un moyen de régulation naturelle. 

Les attaques peuvent également avoir lieu entre les individus d’une même meute pour différentes raisons : un reproducteur qui s’affaiblit progressivement, un louveteau qui veut prendre la tête de la meute, une meute qui devient trop nombreuse parce que les louveteaux de l’année précédente (yearlings) ont décidé de rester. Cependant, les yearlings restent rarement et si c’est le cas, ils ne restent pas plus de trois ans. En général, ils préfèrent partir pour éviter la famine, pour voir d’autres horizons ou pourquoi pas, espérer une rencontre amoureuse. C’est ce que l’on appelle la dispersion.

 

 

La reproduction des loups

Le cycle de reproduction des loups est photopériodique (lié à la durée du jour). C’est un animal monogame et dit monoœstrus. C’est-à-dire que la louve ovule une seule fois par an, pendant une période d’un mois. Cette ovulation peut se produire entre janvier et avril et provoque un changement de comportement chez elle. Elle recherche le mâle de plus en plus souvent et devient plus tactile avec lui. Elle essaie de le charmer. Le couple passe plus de temps à se renifler les parties génitales et à se câliner. Quant au mâle, il produit plus d’hormones liées à la reproduction de décembre à mars ce qui le rend plus fertile. Complètement en amour avec sa louve, il ne cherchera pas à se reproduire avec d’autres femelles et restera pour s’occuper des petits (ce qui est différent des chiens).  

 

Suite du périple de notre louve

Quelques mois passent. En février, notre louve a ses chaleurs. Ce qui est bon signe, car si le couple ne se reproduit pas, la meute a peu de chances de perdurer plus de quelques mois. Cependant, tout n’est pas joué, car si les petits ne survivent pas, il se peut que le couple se sépare. 

Deux mois plus tard, la louve a le ventre bien distendu. Notre couple est prêt. Il a fait des repérages en automne, bien avant de s’accoupler. Il a choisi un lieu qui convenait aux deux et a creusé une tanière. Cette dernière est située dans une forêt de conifères, loin des limites territoriales, sur un sol bien drainé, dans une pente plutôt abrupte orientée au sud, loin des routes et dans un coin discret. Autre point très important, un point d’eau se trouve non loin de là, car ça donne soif de donner naissance, et les louveteaux doivent pouvoir boire! 

Six bébés (cinq à six en moyenne) naissent juste à la fin de l’hiver, au moment où les proies mettent bas également. Il est alors plus facile pour nos jeunes parents de trouver de la nourriture. Nos louveteaux restent tranquilles dans et autour de la tanière pendant les huit premières semaines. Monsieur loup chasse et apporte de la nourriture à sa louve. Quant à elle, elle réchauffe les petits, les allaite et veille à leur bien-être. Un mois plus tard, elle sort de la tanière pour aller chasser avec son loup et les deux régurgitent de la nourriture aux louveteaux à leur retour (comme le font les oiseaux). La louve passe globalement plus de temps avec les petits que monsieur, mais elle les allaite moins pour aller chasser avec son compagnon. Quant au mâle, il continue de prendre soin du territoire et de le défendre. 

Entre la 8e et la 20e semaine, les louveteaux s’éloignent de plus en plus de la tanière et jouent ensemble. Ils se retrouvent seuls plus longtemps; s’il y avait plus de nourriture, ils resteraient seuls moins longtemps. Ils se rejoignent dans différentes zones à découvert reliées à plein de chemins, c’est la période de sites de rendez-vous. Nos bébés interagissent de plus en plus avec leurs parents et n’occupent plus la tanière. Ils apprennent à se bagarrer, à décoder le langage, à communiquer, à chasser, etc. À trois mois, les louveteaux commencent à suivre leurs parents. Entre 4 et 10 mois, ils les accompagnent à la chasse. 
Puis, les jours raccourcissent et le froid commence à se faire sentir. Des six louveteaux, quatre ont survécu pour le moment. Les jeunes loups commencent à se disperser un peu plus sur le territoire et passent plus de temps seuls ou à deux. C’est ce que l’on appelle la période nomade. Ils s’éparpillent pour trouver des proies. La nourriture se fait plus rare. Certains louveteaux partent. Un jour, ils ne sont plus que trois, car l’un des frères est parti au loin et ne reviendra jamais. Une sœur décide de partir le lendemain, mais elle revient quelque temps plus tard pour peut-être repartir ensuite. Puis, le dernier, fidèle à ses parents, décide de rester. Il sera là, l’année suivante, à veiller sur les petits, aider ses parents, etc. Au bout de trois ans, il quittera la meute. 

 

 

LA RÉGULATION NATURELLE DU LOUP EN RÉSUMÉ

La taille du territoire d’une meute est un facteur limitant son nombre de membres et influençant son mode de vie, son comportement territorial, son cycle de reproduction, les attaques entre loups, la disponibilité en nourriture et les risques de blessures et de maladies.

 

Casser le mythe du grand méchant loup 

Le loup est un animal très craintif. Il est très rare d’en apercevoir un dans la nature, car il est très discret et il vous entend arriver jusqu’à 300 m de distance.  En moyenne, il vous entend à 100 m de lui et s’enfuit jusqu’à 1 km plus loin.  

 

 

Les menaces d’origine humaine

Dans notre exemple, l’un des louveteaux est parti au loin et doit se débrouiller. Si le territoire choisi par la louve se situe dans un lieu non protégé, notre jeune louveteau a appris à se débrouiller. Il a identifié certains dangers environnants et a appris à les éviter. Par contre, si la louve a choisi un endroit idyllique dans un parc naturel, une zone protégée et sans danger, notre louveteau, naïf, devra apprendre rapidement à reconnaître les menaces qui l’entourent. 

La chasse et le piégeage représentent un danger mortel pour lui. La fragmentation du paysage est un obstacle à ses déplacements et à sa recherche d’un endroit convenable où s’établir. Les routes représentent un frein majeur à la dispersion du loup. D’ailleurs, la plupart des mortalités de loups ont lieu dans un périmètre de 250 m autour des routes. De plus, les routes fracturent les territoires potentiels. 

Dans la cohue du monde, notre louveteau peut se sentir seul et avoir du mal à trouver un partenaire, surtout s’il s’approche, sans le savoir, de zones urbanisées. Dans ce cas, il rencontrera des congénères plus petits qu’il pourra prendre pour des loups, mais qui n’en sont pas : les coyotes. 
Notre loup du sud du Québec est plus petit que ses cousins du nord. Il n’a pas le même rôle de régulation sur les coyotes qui, sur cette partie du continent, sont devenus plus gros avec le temps et les hybridations. Il peut alors trouver un partenaire potentiel en sa cousine coyote. Cette relation aboutie à la création d’un hybride, ce qui peut mettre en péril l’intégrité génétique de notre loup. 

 


 

 

 

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