Interactions feux-lacs : conséquences des incendies de forêt sur le cycle du carbone et la qualité de l’eau
Faustine Machut, Institut de Recherche sur les Forêts, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et Université de Montpellier en France, étudiante à la maîtrise, Dorian M. Gaboriau, chercheur postdoctoral, Institut de Recherche sur les Forêts, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Carsten Meyer-Jacob, professeur, Institut de Recherche sur les Forêts, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et Yves Bergeron, professeur émérite, Institut de Recherche sur les Forêts, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et Université du Québec à Montréal
Les feux de forêt façonnent les écosystèmes boréaux et altèrent les environnements aquatiques en modifiant le transport des sédiments et des nutriments vers les lacs, ce qui affecte la qualité de l’eau et l’écologie des lacs. Le changement climatique pourrait augmenter la fréquence et la sévérité des feux, ainsi que le stress sur les écosystèmes aquatiques. Si les effets immédiats des feux sont connus, les conséquences à long terme restent à explorer.
La réponse des écosystèmes lacustres aux feux de forêt
Les lacs des écosystèmes boréaux entretiennent des liens étroits avec les forêts qui les entourent et avec les perturbations qui façonnent ces milieux, comme les incendies qui, par la combustion de végétaux, libèrent du dioxyde de carbone (CO₂) dans l’atmosphère et relâchent des nutriments dans le sol. Lors d’un incendie, le cycle des nutriments est modifié par l’apport de matières organiques et carbonisées vers les lacs, augmentant les niveaux des nutriments et la turbidité de l’eau. Ces particules sont transportées à la fois par le ruissellement de l’eau vers les lacs et par les courants atmosphériques qui dispersent les particules sur de longues distances.
Les feux de forêt influencent le fonctionnement des lacs et leurs conséquences peuvent potentiellement façonner les écosystèmes aquatiques sur plusieurs décennies. L’apport en nutriments dans les lacs, lors d’un feu ou durant les années suivant le feu, peut favoriser la prolifération des algues. À long terme, ces changements peuvent transformer la composition des écosystèmes aquatiques, affectant la biodiversité et la disponibilité des ressources. Comprendre ces dynamiques à différentes échelles spatio-temporelles est une question centrale que les scientifiques de l’Institut de Recherche sur les forêts cherchent à explorer, afin de prédire les effets des feux sur ces milieux fragiles.
Les sédiments des lacs : des archives à ciel ouvert qui enregistrent le passé
Les sédiments se forment lorsque des particules se déposent au fond de lacs. Ils sont constitués de matière en décomposition contenant divers indicateurs comme des particules de charbon de bois, des fragments de végétaux non décomposés, des grains de pollen ou encore des éléments géochimiques qui en absence d’oxygène persistent dans le temps. Les paléoécologues collectent ces sédiments pour reconstituer les dynamiques de végétation et les perturbations passées, afin d’expliquer les réponses des écosystèmes forestiers aux changements environnementaux au cours du temps. Les méthodes paléolimnologiques, une branche de la paléoécologie qui étudie les environnements aquatiques, se basent sur ces archives naturelles pour reconstituer l’évolution des conditions des lacs au cours du temps et leurs réponses aux changements environnementaux passés. Les sédiments sont datés à l’aide de techniques comme la datation au plomb-210 (210Pb) pour les sédiments les plus récents et au radiocarbone (14C) pour les sédiments les plus anciens. La spectroscopie de fluorescence des rayons X permet d’analyser la composition géochimique des sédiments. Les biomarqueurs chimiques informent sur les changements dans la productivité biologique, la composition organique des lacs et la qualité de l’eau après un incendie. En quantifiant les charbons de bois dans les sédiments, il est possible de dater les périodes d’occurrence de feux et d’estimer leur sévérité, tandis que l’analyse des isotopes et des composés organiques dissous fournit des informations sur l’évolution de la productivité aquatique et des flux de nutriments dans les systèmes lacustres. À partir des sédiments lacustres, il est ainsi possible d’analyser les interactions entre les perturbations par le feu et les effets sur les lacs, sur des échelles allant de plusieurs décennies à plusieurs millénaires.
De la théorie à la pratique, comment les lacs de la forêt boréale mixte ont répondu aux feux des derniers siècles
Pour mieux comprendre les effets spatio-temporels des feux de forêt sur les milieux aquatiques, une étude des sédiments accumulés dans plusieurs lacs de la Forêt d’Enseignement et de Recherche du Lac Duparquet (FERLD) a été mise en place en collaboration avec des chercheurs de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et de l’Université de Montpellier, en France. Cette forêt mixte du domaine bioclimatique de la sapinière à bouleau blanc est unique puisque le territoire a été marqué par de nombreux feux successifs au cours des derniers siècles, notamment en 1760 et 1923, date des derniers grands feux, créant aujourd’hui une mosaïque forestière relativement diversifiée. La composition forestière régionale est dominée par des peuplements de feuillus comme le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides Michx.) et le bouleau à papier (Betula papyrifera Marshall), des espèces pionnières qui colonisent rapidement les zones brûlées et qui profitent des ouvertures créées par les incendies. Les forêts sont aussi composées de conifères comme le pin gris (Pinus banksiana Lamb.) ou l’épinette noire (Picea mariana Mill.,Britton, Sterns & Poggenb.), dont la régénération par les cônes sérotineux est favorisée par le feu. À plus long terme, on observe l’implantation d’essences plus tolérantes à l’ombre comme l’épinette blanche (Picea glauca Voss), le sapin baumier (Abies balsamea Mill.) et le thuya occidental (Thuja occidentalis L.), qui prennent le relais dans la succession forestière.
Des carottes de sédiments ont été extraites des lacs Clo, Monsabrais, Gapa, Francis et Hébécourt en mars et juillet 2024. Situés dans la FERLD, ils se distinguent par leur taille (2,32 à 775 hectares), leur profondeur (1,2 à 3,8 m) et leur connectivité avec leur bassin versant. Ces lacs offrent la possibilité d’étudier la composition des sédiments sur plusieurs siècles en réponse à des incendies successifs. Les données sédimentaires seront croisées avec les archives dendrochronologiques déjà existantes sur le milieu d’étude qui ont permis de dater précisément les périodes de feux des derniers siècles et de mettre en place un historique spatio-temporel des incendies. Le projet repose sur une approche regroupant trois disciplines, la paléoécologie, la paléolimnologie et la dendroécologie, qui étudie la croissance des arbres et les cernes de croissance pour reconstituer les événements environnementaux passés, comme les incendies. Il offrira une vision détaillée des cycles de perturbations naturelles et de leurs effets sur les eaux lacustres dans le temps et dans l’espace.
De la théorie à la pratique, comment les lacs de la forêt boréale mixte ont répondu aux feux des derniers siècles
Pour mieux comprendre les effets spatio-temporels des feux de forêt sur les milieux aquatiques, une étude des sédiments accumulés dans plusieurs lacs de la Forêt d’Enseignement et de Recherche du Lac Duparquet (FERLD) a été mise en place en collaboration avec des chercheurs de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et de l’Université de Montpellier, en France. Cette forêt mixte du domaine bioclimatique de la sapinière à bouleau blanc est unique puisque le territoire a été marqué par de nombreux feux successifs au cours des derniers siècles, notamment en 1760 et 1923, date des derniers grands feux, créant aujourd’hui une mosaïque forestière relativement diversifiée. La composition forestière régionale est dominée par des peuplements de feuillus comme le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides Michx.) et le bouleau à papier (Betula papyrifera Marshall), des espèces pionnières qui colonisent rapidement les zones brûlées et qui profitent des ouvertures créées par les incendies. Les forêts sont aussi composées de conifères comme le pin gris (Pinus banksiana Lamb.) ou l’épinette noire (Picea mariana Mill.,Britton, Sterns & Poggenb.), dont la régénération par les cônes sérotineux est favorisée par le feu. À plus long terme, on observe l’implantation d’essences plus tolérantes à l’ombre comme l’épinette blanche (Picea glauca Voss), le sapin baumier (Abies balsamea Mill.) et le thuya occidental (Thuja occidentalis L.), qui prennent le relais dans la succession forestière.
Des carottes de sédiments ont été extraites des lacs Clo, Monsabrais, Gapa, Francis et Hébécourt en mars et juillet 2024. Situés dans la FERLD, ils se distinguent par leur taille (2,32 à 775 hectares), leur profondeur (1,2 à 3,8 m) et leur connectivité avec leur bassin versant. Ces lacs offrent la possibilité d’étudier la composition des sédiments sur plusieurs siècles en réponse à des incendies successifs. Les données sédimentaires seront croisées avec les archives dendrochronologiques déjà existantes sur le milieu d’étude qui ont permis de dater précisément les périodes de feux des derniers siècles et de mettre en place un historique spatio-temporel des incendies. Le projet repose sur une approche regroupant trois disciplines, la paléoécologie, la paléolimnologie et la dendroécologie, qui étudie la croissance des arbres et les cernes de croissance pour reconstituer les événements environnementaux passés, comme les incendies. Il offrira une vision détaillée des cycles de perturbations naturelles et de leurs effets sur les eaux lacustres dans le temps et dans l’espace.
Décrypter l’empreinte à long terme des feux de forêt sur la qualité de l’eau des lacs
Les lacs des milieux boréaux sont souvent perçus comme des milieux statiques, mais ils sont en réalité des témoins des changements environnementaux passés et en cours. En analysant les sédiments qui s’accumulent dans ces lacs, les scientifiques cherchent à décrypter leur fonctionnement et leurs réponses à des changements écologiques. L’objectif est de mieux comprendre ces écosystèmes fragiles face à l’occurrence des perturbations naturelles et anthropiques, afin de mieux les préserver.
Des études ont démontré l’effet à court terme des feux de forêt sur les lacs. Une hausse du carbone organique dissous (COD) et des nutriments dans les lacs peut favoriser la productivité du milieu aquatique, entraînant une augmentation des niveaux de chlorophylle a, un pigment photosynthétique clé des algues, qui peut être détecté dans les sédiments. Ces apports proviennent principalement du lessivage des sols et des résidus de végétation brûlée, transportés vers les lacs par le ruissellement de l’eau, les précipitations post-incendie et le vent. L’apport de nutriments réduit la transparence de l’eau et limite la pénétration lumineuse nécessaire à la photosynthèse. Des niveaux élevés de matière organique peuvent également réduire la disponibilité de l’oxygène dissous dans les lacs, en raison de la consommation accrue d’oxygène nécessaire à la décomposition de la matière organique. Cette diminution affecte directement les communautés biologiques, notamment les poissons et les invertébrés benthiques.
Par ailleurs, des composés potentiellement toxiques, tels que des métaux lourds, comme le mercure et le plomb, et des substances issues de la combustion de bois et de plantes, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques, les dioxines et les furanes, peuvent se retrouver dans l’eau après un incendie. Ces composés persistent dans l’eau et dans les sédiments pendant des années et peuvent influencer la chimie de l’eau et les organismes aquatiques.
Les chercheurs étudient les variations passées du COD de l’eau de lac et des concentrations de COD et de chlorophylle a dans les sédiments afin de mieux comprendre la réponse des lacs aux feux de forêt sur de longues échelles de temps. Une hausse des pigments chlorophylliens dans les couches sédimentaires peut être corrélée à des périodes de productivité biologique plus importantes en réponse à une augmentation de la disponibilité en nutriments. Les variations du COD, influençant la clarté de l’eau et la photosynthèse, sont étroitement liées à celles de la chlorophylle a et fournissent des informations sur la dynamique du carbone et l’intensité des apports organiques post-feux de forêt. En couplant ces résultats avec des modèles prédictifs, nous nous attendons à mieux comprendre et à anticiper les effets à venir des feux de forêt sur les écosystèmes aquatiques boréaux, particulièrement dans un contexte de réchauffement climatique et d’augmentation de la fréquence des incendies.
Vers une gestion durable des forêts et des ressources en eau
Le projet vise à fournir des informations destinées à faciliter la mise en place de plans de gestion durable des ressources en eau à la suite de perturbations comme les feux. L’étude de l’évolution des apports en nutriments et en carbone organique dissous dans les lacs aidera à mieux comprendre l’effet des feux sur la qualité de l’eau et le cycle du carbone, ainsi qu’à identifier plus précisément les périodes durant lesquelles les écosystèmes aquatiques sont susceptibles d’être plus vulnérables. Comprendre comment les lacs ont répondu aux feux de forêt au cours des derniers siècles permettra d’anticiper les conséquences futures du changement climatique et d’adapter les stratégies de conservation.
Des pratiques de gestion efficaces peuvent déjà être mises en place comme la limitation des coupes de récupération en zones sensibles pour préserver les sols et limiter l’érosion après un feu. Ces zones sensibles sont proches des plans d’eau et des pentes abruptes, où les sols sont plus vulnérables à l’érosion et au ruissellement. L’aménagement de zones tampons végétalisées autour des lacs est une solution envisageable afin de filtrer les apports en nutriments, comme à la FERLD, où une zone tampon végétalisée est déjà en place autour des lacs.