Les érablières face aux tempêtes : favoriser la capacité d’acclimatation des arbres
Félix Hartmann, Ph. D., ingénieur de recherche, INRAE (France), Jana Dlouhá, Ph. D., chargée de recherche en biomécanique de l’arbre, INRAE (France), Sergio Rossi, Ph. D., ing. F., professeur en écologie forestière, Université du Québec à Chicoutimi.
Ces dernières années, les tempêtes ont causé des dégâts inquiétants pour la production acéricole. Certaines érablières ont perdu jusqu’à 20 % des arbres, le plus souvent des érables matures en production, sans compter les dommages causés au système de collecte de la sève. Un aménagement de l’érablière inspiré par la biologie du développement des arbres pourrait-il contribuer à augmenter la résistance des érables? Quelles pratiques sylvicoles peuvent réduire la vulnérabilité des érablières face à des tempêtes plus puissantes?
Facteurs de vulnérabilité
Avec le bouleau jaune, l’érable à sucre est l’une des deux espèces feuillues du Québec les plus résistantes au déracinement. Pourtant, cela n’empêche pas les tempêtes de produire des dégâts en érablière. Les différences de résistance entre espèces sont, en effet, souvent secondaires par rapport à d’autres facteurs liés au terrain, à la structure du peuplement et à son historique.
Par exemple, les érables déracinés sont en général ceux dont l’enracinement est superficiel, à cause d’un sol mince ou mal drainé. Les érables préfèrent des sols humides, mais bien aérés. Un mauvais drainage favorise la saturation en eau des horizons superficiels, ce qui empêche le développement profond des racines. La présence d’eau affaiblit le contact entre le sol et le système racinaire. C’est pourquoi une tempête précédée ou accompagnée de fortes pluies cause plus de dégâts. À l’inverse, les racines sont mieux ancrées dans un sol gelé.
Malheureusement, la résistance des érablières face aux vents violents reste très peu étudiée, surtout en comparaison aux peuplements de conifères. Une question cruciale est l’effet d’une éclaircie. Il a été montré chez certaines espèces d’arbres qu’un peuplement est temporairement plus vulnérable aux tempêtes après une éclaircie. Le vent pénètre plus aisément dans un peuplement quand une partie des arbres a été retirée. Les arbres résiduels se retrouvent subitement plus exposés aux vents. Par ailleurs, les frottements entre les branches d’arbres adjacents permettent de dissiper une partie de l’énergie du vent. Cette dissipation de l’énergie est beaucoup moins efficace dans un peuplement ouvert par une intervention d’éclaircie. Cependant, si la résistance au vent est temporairement diminuée par l’éclaircie, une forte exposition au vent à long terme rend au contraire le peuplement plus résistant. Ceci a été observé par exemple chez les arbres de lisière ou dans des peuplements à faible densité d’arbres.
Renforcer la résistance au vent
La résistance d’un peuplement aux tempêtes ne se résume pas à un problème structurel. De nombreuses recherches ont démontré que les arbres ont la capacité de réagir au vent afin de se renforcer mécaniquement. Cela s’observe en particulier après une éclaircie, lorsque les arbres résiduels subissent une exposition accrue au vent. Durant les années qui suivent l’éclaircie, les arbres réduisent leur croissance en hauteur et développent davantage les racines et le diamètre du tronc, ce qui leur confère un port plus robuste et un meilleur ancrage au sol. La différence d’allure peut aussi s’observer entre les arbres qui poussent isolés (dans un parc, un champ) et les arbres en milieu forestier.
Les arbres réagissent activement lorsqu’ils sont soumis à un changement d’exposition au vent. C’est une forme d’acclimatation face aux contraintes de l’environnement. L’acclimatation peut cibler les points de faiblesse. Chez les jeunes hêtres, qui sont plus susceptibles d’être rompus que déracinés, une éclaircie a pour effet d’augmenter la croissance en diamètre du tronc plus que la croissance des racines.
De récents travaux ont prouvé que les changements observés sont bien une réponse directe au vent. Sur une placette de hêtraie, certains arbres ont été immobilisés avec des haubans pour les empêcher d’être ballottés par le vent. Les arbres ainsi haubanés s’acclimataient beaucoup moins après une éclaircie que les arbres laissés libres d’être secoués par le vent. De plus, les arbres immobilisés avaient tendance à adopter un port élancé et mécaniquement instable.
Aucune étude n’a été menée spécifiquement sur les érables. Cependant, comme la capacité de s’acclimater au vent a été observée chez de nombreuses espèces, il est très probable que les érables la possèdent aussi.
Qu’attendre des changements climatiques?
Le réchauffement des températures allonge la période pendant laquelle le sol n’est pas gelé. Dans les climats tempérés froids, une plus grande proportion des précipitations pourrait tomber sous forme liquide, ce qui maintiendrait les sols plus meubles et affaiblirait l’ancrage du système racinaire. Les arbres pourraient donc être plus vulnérables au déracinement en début et fin d’hiver.
En revanche, l’impact des changements climatiques sur la fréquence et l’intensité des tempêtes est difficile à prévoir. Dans son rapport de 2023, le Groupe international d’experts sur le climat (GIEC) commence à faire des pronostics pour certaines régions du monde. En Amérique du Nord, la vitesse moyenne du vent devrait baisser. Cependant, les évènements venteux extrêmes devraient garder la même fréquence et seraient plus puissants, à cause du réchauffement des eaux de l’Atlantique. Cette évolution climatique constitue un enjeu important pour les érablières. Avec la réduction de la vitesse moyenne du vent, les arbres auront moins l’occasion de s’acclimater, et seront donc plus vulnérables suite aux évènements extrêmes, d’où une augmentation du risque de casse et de déracinement.
Toujours selon ce rapport, les scientifiques prévoient un allongement de la saison des orages en Amérique du Nord. Le Québec devrait se préparer à un risque accru d’orages au printemps, au moment de la pousse des feuilles, donc lorsque la prise au vent est plus importante. Les cyclones extratropicaux qui touchent notre continent devraient s’accompagner de plus fortes précipitations, ce qui pourrait affaiblir l’ancrage des racines des arbres. Selon les observations d’Ouranos, le sud du Québec n’est pas non plus à l’abri des tornades, qui se concentrent particulièrement dans les mois de juin et juillet. Celles-ci ont déjà causé des dommages importants aux infrastructures et aux paysages.
Quelles pratiques sylvicoles en prévision des tempêtes ?
Avant toute intervention, des informations sur l’historique local des chablis (les arbres déracinés) permettent de repérer les peuplements à risque et leur degré de vulnérabilité aux vents. Une évaluation du type de dépôt de surface et de la classe de drainage pourrait informer sur la capacité des érables à bien s’enraciner. Les sols minces, compacts ou mal drainés sont associés à des enracinements superficiels.
La sylviculture pourrait tirer parti de la capacité des arbres à percevoir le vent et à s’y acclimater. Par exemple, fournir davantage d’espace entre les arbres lorsqu’ils sont jeunes pour qu’ils soient plus exposés au vent pourrait favoriser leur acclimatation. De petites coupes de jardinage pourraient maintenir le peuplement à une densité adéquate pour faciliter le développement des traits de résistance au vent. Les interventions sylvicoles devraient viser à supprimer les érables qui présentent des caries ou des défauts aux troncs et aux racines, de même que les individus trop élancés, pourvus d’un houppier concentré dans la partie supérieure de la tige ou d’un houppier déséquilibré. Les grandes surfaces dénudées sont à éviter, car elles tendent à accélérer la vitesse du vent.
Les pertes de revenus dues à la chute des arbres dans les érablières sont parfois élevées, surtout lorsque les tempêtes surviennent à l’hiver ou au printemps, au moment où les producteurs préparent l’équipement pour la saison des sucres. Face aux aléas des changements climatiques, l’acériculture de demain aura tout avantage à considérer la vulnérabilité des différents peuplements et à pratiquer des interventions sylvicoles bien adaptées pour maximiser leur productivité.
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Consultez les dernières avancées scientifiques sur l’acclimatation des arbres : https://annforsci.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13595-024-01271-6