Articles printemps 2025

 

L’épinette blanche peut-elle s’adapter aux gels printaniers tardifs?

Martin Perron1, biol., Ph. D., Marie-Eve Roy, ing.f., MBA, Ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec, Denise Tousignant, biol., M. Sc., Ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec, Lahcen , biol., Ph. D., Benomar Institut de recherche forestière de l’Ontario et Benjamin Marquis, biol., Ph. D., Centre de foresterie des Grands Lacs, Ressources naturelles Canada

Globalement, divers événements climatiques extrêmes s’intensifient dans les forêts boréales. Dans ce contexte, la fréquence des gels tardifs pourrait augmenter au printemps dans le futur. Quelles sont les conséquences de ces événements sur les jeunes plantations d’épinette blanche? Est-il possible de produire des plants mieux adaptés?

Lorsqu’il survient après le débourrement des arbres, un événement de gel tardif au printemps peut endommager les nouvelles pousses et les tissus cambiaux responsables de l’accroissement de la tige. Les petits arbres en milieux ouverts comme les plantations sont particulièrement à risque. Les différents mécanismes contrôlant la tolérance au gel, tels que l’adaptation locale des arbres et la variation intraspécifique, restent méconnus. 

 

Quelle est la différence entre l’acclimatation au froid et l’adaptation?

L’acclimatation au froid des arbres est un ensemble de processus physiologiques et métaboliques en réponse à un changement de l’environnement, qui entraînent une modification du phénotype (c’est-à-dire des traits observables). Un exemple serait l’arrêt de la croissance apicale et la formation de bourgeons à la fin de la saison de croissance, premières étapes de l’endurcissement au froid. Les variations de ces processus physiologiques sont généralement contrôlées génétiquement. L’adaptation génétique, quant à elle, correspond à l’augmentation de génération en génération de la fréquence des allèles (c’est-à-dire une des formes d’un gène) favorisant la survie et une meilleure performance d’un groupe d’individus dans un environnement particulier. Par exemple, les populations nordiques d’une espèce d’arbre sont adaptées au gel précoce parce que dans cet environnement plus hostile, la fréquence des allèles favorisant l’arrêt de croissance et la formation précoce de bourgeons est plus grande que dans une population poussant plus au sud.

 

Une étude de cas : un gel printanier tardif dans trois plantations comparatives

Nous avons étudié trois plantations comparatives faisant partie d’une série de tests répartis sur un vaste gradient environnemental afin de comparer les arbres de six vergers à graines d’épinette blanche (Figure 1). 

À partir de la mi-avril 2021, les températures journalières ont augmenté de façon linéaire pour atteindre un minimum de 15 °C et un maximum de 30 °C vers la fin de la troisième semaine de mai. Cette accumulation de degrés-jours a provoqué le débourrement précoce des bourgeons chez la grande majorité des arbres, qui en étaient à leur sixième saison de croissance en plantation. Toutefois, deux événements de gel tardif d’intermédiaire à fort sont ensuite survenus : d’abord le 24 mai (un jour), puis du 27 au 30 mai (quatre jours). Lors du second événement, les températures minimales ont été sous 0 °C à plusieurs reprises, pour atteindre −7,7 °C, −5,6 °C et −3,6 °C, respectivement, du site le plus au nord à celui le plus au sud. Une température de l’air inférieure à −2 °C est associée à un risque de dommages par le gel pour les arbres en croissance active, et ce risque devient élevé sous −4 °C.

 


Le saviez-vous? 
Depuis 1969, des programmes québécois d’amélioration génétique visent à identifier et à reproduire des arbres résilients, productifs et adaptés aux conditions des sites de plantation. Ces programmes visent sept essences commerciales : l’épinette blanche, l’épinette noire, l’épinette de Norvège, le pin gris, le pin blanc, les mélèzes et les peupliers. Grâce à ces travaux, 79 vergers à graines fournissent maintenant les semences pour plus de 90 % des plants de reboisement du Québec. Chaque verger fournit les semences pour un territoire d’utilisation précis. Ce territoire reflète l’adaptation locale des semences, résultat de la sélection naturelle qui fait en sorte que les individus locaux sont les mieux adaptés à leur environnement.
Toutefois, avec les changements climatiques, le climat dans lequel ont vécu les parents ne correspond plus nécessairement à celui dans lequel pousseront leurs descendants. Il y a donc un risque de mésadaptation. Des modèles de transfert conçus pour les épinettes permettent de recourir à la migration assistée de populations. Après avoir identifié des variables climatiques qui expliquent la croissance, on peut simuler divers climats futurs et définir de nouveaux territoires d’utilisation pour les différents vergers à l’intérieur de l’aire de répartition de l’espèce. Pour produire des modèles de transfert pour l’épinette blanche qui tiendraient compte de l’adaptation au gel printanier tardif, il faut déterminer s’il existe plus de variation génétique pour le débourrement dans des populations et des familles du sud. Cela permettrait d’identifier les sources de graines dont la phénologie correspond mieux au climat actuel et à venir. 

 

Dans ces trois plantations et pour tous les vergers à graines, la majorité (99,8 %) des arbres ont subi des dommages plus ou moins graves (Figure 2). La gravité des dommages a varié significativement entre les plantations. Du sud vers le nord, la proportion des arbres ayant subi des dommages graves augmentait, tandis que celle des arbres ayant subi des dommages légers à modérés diminuait. Ceci s’explique par le fait que les gels tardifs observés ont été plus forts au nord. 

 

 

Dans chaque plantation, les plus petits arbres ont été plus affectés, possiblement parce que la température est plus froide près du sol. L’utilisation de sources de semences améliorées et de bonnes pratiques sylvicoles peuvent donc contribuer à maximiser la performance de croissance et limiter la période de vulnérabilité des arbres à de forts gels tardifs. Les dommages causés par le gel n’ont pas varié significativement selon la provenance des semences (ni entre les divers vergers à graines, ni par rapport à la source locale servant de témoin). Une fois leur croissance annuelle amorcée, les arbres n’ont donc pas montré d’adaptation locale ni de variation génétique dans leur résistance au gel selon leur origine géographique, malgré une grande variation de latitude (Figure 1).

 

 

Gel tardif et changements climatiques

À l’aide des données historiques des stations météorologiques d’Environnement et Changement climatique Canada et du logiciel BioSim, les températures journalières de 1901 à 2021 ont été simulées pour 512 endroits répartis dans les forêts décidues et mixtes (grille de points; Figure 1). L’analyse a montré que les variations spatiales étaient plus grandes pour les variables reflétant des événements extrêmes, comme l’occurrence de gels printaniers tardifs, que pour les variables climatiques agrégées, comme la température moyenne annuelle de l’air. Cela indique que le régime de gel ne change pas uniformément sur le territoire d’étude. Par exemple, les gelées tardives sont maintenant plus fréquentes près des grandes masses d’eau dans le sud, telles que les Grands Lacs, ainsi qu’au nord-ouest. Ces tendances pourraient se poursuivre dans le futur. De plus, d’après les données climatiques simulées et un modèle de débourrement pour l’épinette blanche, l’exposition aux gelées tardives d’intensité faible et intermédiaire (dernier jour où la température de l’air descend en dessous de 0 °C et de −2 °C, respectivement) a peu changé de 1901 à 2021. En revanche, l’exposition aux gelées tardives de forte intensité (seuil < −4 °C) a diminué durant cette période. 

 

Conclusion

Nous avons montré que parfois, sous l’effet d’un réchauffement précoce au printemps, l’épinette blanche reprend sa croissance plus hâtivement, ce qui peut l’exposer à des gels printaniers tardifs. Toutefois, nous n’avons pas trouvé de signe d’adaptation locale entre les sources de semences du Québec à des gels printaniers tardifs de forte intensité. De plus, la gravité des dégâts causés par le gel est liée positivement à l’intensité du gel et négativement à la hauteur de l’arbre. Ainsi, on peut s’attendre à ce que les arbres soient moins gravement endommagés par le gel printanier tardif à mesure qu’ils croissent et gagnent en hauteur. Puisque la fréquence des gels printaniers d’intensité faible à intermédiaire a peu changé de 1901 à 2021, il pourrait y avoir eu une adaptation locale pour ce niveau d’intensité de gel. Si c’est le cas, cela permettrait d’identifier des sources de graines dont la phénologie serait mieux adaptée au gel d’intensité faible à intermédiaire et d’utiliser la migration assistée pour permettre de limiter les dommages liés au gel.

 


En savoir plus

Consultez les versions complètes des articles scientifiques sources aux adresses suivantes : 
https://doi.org/10.3389/fpls.2022.920852
https://iopscience.iop.org/article/10.1088/2752-5295/ad8d00

Consultez les profils des chercheurs et leurs autres publications :
https://mffp.gouv.qc.ca/auteurs-ministeriels/martin-perron/
https://www.researchgate.net/profile/Lahcen-Benomar
https://www.researchgate.net/profile/benjamin-marquis

 

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