La coupe de jardinage a été introduite sur une base opérationnelle au cours des années 1990 dans les érablières et les bétulaies jaunes résineuses. De 1995 à 1999, un réseau de suivi provincial a été établi pour mesurer les résultats des coupes de jardinage exécutées en forêt publique. Cette étude présente les résultats observés régionalement après 20 ans et les compare aux hypothèses de rendements émises dans le Manuel d’aménagement forestier (MAF)1 ainsi qu’aux rendements prévus par les modèles de croissance Artémis 2014 et SaMARE qui permettent notamment le calcul des possibilités forestières en forêt publique. Le MAF mentionnait que les volumes récoltés par la coupe de jardinage pourraient se reconstituer en 20 ± 5 ans ce qui permettrait de réaliser des coupes de jardinage successives selon cette période que l’on nomme rotation. Or, on constate une grande variabilité de cette période entre les régions, bien qu’adéquate dans certaines, elle pourrait atteindre jusqu’à 50 ans dans d’autres.
1Le Manuel d’aménagement forestier était en vigueur entre 1989 et 2013. Il y a eu quatre éditions : 1989, 1992, 1998 et 2003. Il a été remplacé par le Guide sylvicole du Québec.
Définitions
Le jardinage est une coupe périodique d’arbres choisis individuellement ou par petits groupes, dans un peuplement de structure inéquienne (arbres appartenant à plus d’une classe d’âge), pour en récolter la production et maintenir cette structure de peuplement, tout en assurant la croissance des arbres et l’installation de semis.
La rotation correspond à l’intervalle de temps compris entre deux coupes de jardinage dans un même peuplement.
L’accroissement annuel net (AAN) est la différence entre les mesures (en surface terrière ou en volume) à la fin et au début de la rotation, divisée par la durée de la rotation.
Le volume marchand brut (VMB) est le volume ligneux du tronc et des branches sous écorce compris entre une hauteur de souche de 15 cm et un diamètre d’utilisation minimale de 9,1 cm avec écorce.
Le volume de bois d’oeuvre de feuillus est, dans cet article, celui de grande valeur, soit les billes de déroulage et les meilleures qualités de sciage.
Un réseau de suivi provincial
Des placettes ont été inventoriées avant la coupe, après la coupe ainsi que 5, 10 et environ 20 ans après la coupe (fin de la rotation prévue) dans toutes les régions où le jardinage a été appliqué opérationnellement (Figure 1). Les peuplements ont été regroupés par groupe, selon leur végétation potentielle et les régions écologiques.
D’importantes différences régionales après 20 ans
- 1. Les érablières à bouleau jaune des Appalaches et les bétulaies jaunes à sapin -
Dans ces groupes de peuplements (FE3 3d4fh et MJ2; Figure 1), nos résultats confirment les hypothèses : il est possible d’effectuer une récolte semblable ou supérieure à la récolte initiale de 15 à 25 ans après celle-ci. Les prélèvements étaient les plus faibles (30 % de la surface terrière, 35 % du volume marchand brut (VMB) et 30 % à 40 % du volume de bois d’oeuvre de feuillus) et les accroissements annuels nets (AAN) étaient les plus grands (0,40 m2/ha et 0,36 m2/ha par an). Ces groupes sont caractérisés par la faible abondance du hêtre à grandes feuilles, qui peut envahir le sous-bois des érablières et freiner la régénération et le recrutement d’essences plus recherchées. De plus, ils sont situés principalement dans le domaine de la sapinière à bouleau jaune, où les températures sont plus froides et la probabilité de mortalité des arbres plus faible.
- 2. Les érablières à bouleau jaune des collines du lac Nominingue -
À l’opposé, les hypothèses ne se sont pas concrétisées dans ce groupe de peuplements (FE3 3b) qui avaient les plus grands volumes sur pied (VMB : 284 m3/ha; volume de bois d’oeuvre de feuillus : 25 m3/ha) et un AAN généralement plus faible : les prélèvements y ont été les plus grands, soit 39 % du VMB et 48 % du volume de bois d’oeuvre. Ils étaient caractérisés par une abondance d’arbres relativement plus âgés. La période de rotation requise pour reconstituer ces prélèvements serait de 58 ans pour le VMB et de 46 ans pour le volume de bois d’oeuvre de feuillus. L’objectif de reconstituer les volumes sur pied présents avant la prochaine coupe de jardinage dans ces conditions ne donnerait pas un rendement forestier optimal. Mieux vaudrait attendre que l’AAN moyen de la rotation atteigne son optimum pour intervenir. Cela ne semble pas être le cas 20 ans après la coupe, puisque sur la moyenne des 20 premières années, l’AAN en surface terrière (0,29 m2/ha par an) a été supérieur à celui rapporté au cours des 10 premières années (0,22 m2/ha par an).
- 3. Les érablières à bouleau jaune des collines du Témiscamingue -
À la suite d’une violente rafale de vent survenue en juillet 2006, certains peuplements de ces groupes (FE3 3a région 08) ont été affectés par le chablis, et les plus endommagés ont ensuite subi une coupe de récupération. Les peuplements que nous avons suivis sur une période de 20 ans sont ceux qui avaient été les moins altérés par l’évènement. Néanmoins, le chablis a réduit leur accroissement en volume de bois d’oeuvre de feuillus, de sorte que la période de rotation requise pour reconstituer un prélèvement de 8,6 m2/ha serait de 72 ans. Comme c’est le cas dans la région précédente, il ne serait pas optimal d’attendre 72 ans avant la prochaine coupe de jardinage. L’AAN moyen de la rotation devrait atteindre son optimum bien plus tôt et ce sera un meilleur moment pour une prochaine intervention.
- 4. Les autres groupes de peuplements -
Les autres groupes de peuplements comprennent la végétation potentielle d’érablière à bouleau jaune (FE3) située dans les hautes collines du bas Saint-Maurice (3c), les coteaux du réservoir Cabonga (4b), les collines du moyen Saint-Maurice (4c), les collines de la basse Gatineau (2a) et les collines de l’Outaouais (partie est de la région écologique 3a) ainsi que la végétation potentielle de bétulaie jaune à sapin et érable à sucre (MJ1). Lorsqu’ils ne sont pas sujets à une perturbation majeure, ces peuplements devraient prendre entre 30 et 40 ans pour reconstituer les volumes prélevés (environ 80 m3/ha en VMB), mais de 25 à 30 ans pour reconstituer le volume prélevé de bois d’oeuvre de feuillus (environ 7 m3/ha).
Des outils appropriés
Le dépassement des hypothèses concernant la durée de rotation pour plusieurs groupes de peuplements pourrait en inquiéter certains. Cependant, les modèles de croissance Artémis 2014 et SaMARE utilisés pour estimer les rendements dans cette étude ont des biais relativement faibles (de 10 % à 18 %) et tendent à sous-estimer plutôt qu’à surestimer la surface terrière et le VMB. Les aménagistes forestiers ont donc en main des outils appropriés pour bien planifier les rotations de coupes partielles dans les érablières à bouleau jaune et les bétulaies jaunes à sapin du Québec.
Ces résultats nous ont permis de définir de meilleurs critères de réalisation des coupes partielles ainsi que de meilleures hypothèses pour le rendement qui leur est associé. Il en ressort trois modèles sylvicoles applicables dans des peuplements comparables à ceux de cette étude (Figure 3).
LE SAVIEZ-VOUS ?
On distingue trois types de structure de peuplement.
-
Un peuplement de structure régulière comporte une structure verticale monoétagée dont les arbres appartiennent à la même classe d’âge et ont des dimensions semblables.
-
Un peuplement de structure irrégulière possède une structure verticale biétagée ou multiétagée dont les arbres sont habituellement répartis dans deux à quatre classes d’âge, selon une structure diamétrale déséquilibrée.
-
Un peuplement de structure équilibrée est multiétagé et constitué d’arbres appartenant à au moins trois classes d’âge qui occupent un espace équivalent sur une surface restreinte. La représentation graphique de sa structure diamétrale se rapproche d’une courbe exponentielle négative (« J » inversé).
Peuplements jeunes de structure inéquienne et équilibrée
Ce modèle sylvicole, applicable aux groupes FE3 3d4fh et MJ2 (Figure 1), est la coupe de jardinage pratiquée dans un peuplement relativement jeune et de structure inéquienne dans le but de maintenir cette structure. Ce type de peuplement contient une abondance de tiges d’essences désirées de diamètre à hauteur de poitrine (DHP) de 10 cm à 44 cm, mais relativement peu de volume de bois d’oeuvre de feuillus qui provient essentiellement d’arbres feuillus d’un DHP > 33 cm. Une rotation de 20 ± 5 ans permettrait une récolte semblable au prélèvement initial (environ 8 m2/ha, dont environ 4 à 6 m3/ha de volume bois d’oeuvre), après quoi le peuplement maintiendrait une structure équilibrée. Il faut néanmoins assurer la régénération abondante de l’érable à sucre dans les érablières et de bouleau jaune dans les bétulaies jaunes, mais aussi celle des résineux pour les peuplements mixtes. C’est un modèle de sylviculture intensive, qui implique qu’on ne laisse pas trop grossir les arbres pour diminuer le risque de mortalité et de dégradation de la qualité. On mise ici sur la production d’arbres sur pied, ayant entre 34 et 46 cm de DHP2 avec une abondance d’arbres vigoureux dans les classes de DHP inférieures.
2Cet intervalle est délimité par le seuil général de DHP de bois d’oeuvre de feuillus (34 cm) et le diamètre à maturité financière (environ 46 cm selon l’essence, le territoire et la rotation).
Peuplements âgés de structure irrégulière
Les conditions ne se prêtent pas toujours à une coupe de jardinage, puisque les volumes de bois d’oeuvre de feuillus disponibles à la récolte sont relativement faibles. C’est le cas s’il y a abondance de gros arbres âgés dans le peuplement initial ainsi que dans celui que l’on souhaite obtenir après la coupe, ou si on désire régénérer davantage le bouleau jaune. Un second modèle sylvicole est celui des coupes progressives irrégulières à couvert permanent pratiquées dans des peuplements relativement âgés et de structure irrégulière, comme les érablières appauvries ou les bétulaies jaunes résineuses de belle venue. Dans ce modèle sylvicole, on pourrait récolter plus de volume de bois d’oeuvre feuillus et allonger la rotation par rapport au premier modèle sylvicole. Il en résulterait une sylviculture de base, moins intensive, puis le maintien d’une structure irrégulière, mais pas nécessairement équilibrée. Un prélèvement en surface terrière de 8 à 11 m2/ha pourrait être effectué aux 30 à 45 ans (7 à 12 m3/ha en volume de bois d’oeuvre). Ce modèle serait applicable dans les groupes de peuplements FE3 2a3a région 07, FE3 3b, FE3 3c et MJ1. Il pourrait être aussi possible à plus long terme de revenir à une structure jardinée après quelques rotations de coupes progressives irrégulières à couvert permanent suivies d’éclaircies jardinatoires.
Peuplements âgés de structure inéquienne et équilibrée
Les deux modèles sylvicoles précédents sont basés sur des données provenant de peuplements ayant des surfaces terrières avant coupe de 27 à 31 m2/ha. Or, au nord du fleuve Saint-Laurent, les peuplements qui sont actuellement disponibles pour la récolte ont une surface terrière généralement moindre, soit d’environ 22 à 24 m2/ha. C’est dans ce type de peuplements que la Direction de la recherche forestière a réalisé des seconde et troisième coupes de jardinage dans des blocs expérimentaux, basées sur des rotations de 15 à 25 ans. Le modèle de coupe de jardinage proposé par Majcen et al. (3e référence de l’encart final, p. 24) ne visait pas à reconstituer le stock initial sur pied, mais plutôt à permettre un retour aux 12 à 20 ans pour prélever 20 % à 35 % de la surface terrière tout en maintenant une surface terrière de 16 à 18 m2/ha après la coupe et en conservant un bon nombre de gros arbres sur pied (DHP de 45 à 60 cm). Ce modèle sylvicole permettrait un prélèvement d’environ 6 m2/ha sur une rotation de 20 à 25 ans selon le niveau d’AAN, et la surface terrière initiale pour intervenir serait de 22 à 24 m2/ha. Les principales différences avec le premier modèle sylvicole découlent de l’aménagement de peuplements initialement plus âgés (plus de gros arbres sur pied), de la volonté de les maintenir dans ce type de structure, puis d’accepter une récolte moindre à chaque rotation (une surface terrière récoltée de 6 m2/ha plutôt que 8 m2/ha).
Conclusion
Les trois modèles présentés permettent aux aménagistes forestiers de mieux associer le rendement forestier attendu aux caractéristiques des peuplements traités et à leurs objectifs d’aménagement. La notion de rotation devrait se baser plutôt sur la production d’une surface terrière ou d’un volume ciblé de bois, sans viser à tout prix à reconstituer la surface terrière ou le volume initial, pourvu que l’ensemble des critères d’aménagement forestier durable soient respectés.
Pour en savoir plus
Consultez la publication scientifique source
Ainsi que des références complémentaires :
-
mrnf.gouv.qc.ca/nos-publications/resultats-10-ans-coupes-jardinage
-
mrnf.gouv.qc.ca/nos-publications/choix-tiges-jardinage-erable-sucre