Une sécheresse extrême en 2012 ici au Québec!
Carine Annecou, ing.f., Sylva Spirit et Bruno Boulet, ing.f. retraité, Spécialiste en mycologie et en pathologie forestière
Chute des feuilles des arbres en juillet lors de la sécheresse 2012 (escarpement d’Eardley au parc de la Gatineau)
Le parc de la Gatineau, situé près des grands centres urbains d’Ottawa et de Gatineau, est un lieu naturel très prisé pour la randonnée, le vélo et le ski de fond. L’escarpement d’Eardley, avec ses vues imprenables depuis le belvédère Champlain, constitue un joyau écologique et social. En 2012, cet endroit du parc a subi les effets d’une sécheresse extrême, un évènement exceptionnel aux répercussions riches d’enseignements.
Cet été-là, plusieurs utilisateurs du parc ont remarqué des changements anormaux sur le feuillage des arbres. C’était les symptômes d’un stress hydrique marqué. Les premières espèces touchées, telles que le peuplier à grandes dents, le bouleau à papier et l’érable rouge, occupaient les sols minces. À la mi-juillet, les remarquables chênes montraient aussi des symptômes de flétrissement des feuilles du houppier, à un point tel que certains îlots forestiers occupant les affleurements rocheux avaient perdu partiellement leur feuillage. Le sol était jonché de feuilles vertes desséchées (photo d’en-tête). Et puis en août, l’érable à sucre, le hêtre à grandes feuilles, l’ostryer de Virginie et le frêne rouge sur sol mésique présentaient aussi des symptômes de flétrissement et de perte de feuillage.
Cet épisode de sécheresse se caractérise par des températures de 1,8 °C au-dessus de la normale accompagnées d’une réduction de 50 % des précipitations entre mars et août 2012. À ces paramètres climatiques s’ajoute un printemps particulier dont les acériculteurs du sud du Québec se rappellent sûrement. Dans la ville de Gatineau, des records de température maximale ont d’ailleurs été atteints durant ce mois : soit 9,1 °C au-dessus de la moyenne, avec un record ponctuel de 27,4 °C entre le 17 et le 22 mars. Le faible couvert de neige a fondu très rapidement laissant le sol à nu hâtivement au mois d’avril.

Pourquoi s’intéresser à cette sécheresse?
Les sécheresses extrêmes déclenchent des réactions physiologiques pouvant mener au dépérissement prématuré et à la mort des arbres. Avec la hausse des évènements climatiques extrêmes, la capacité de séquestration du carbone par la forêt est menacée, tout comme sa biodiversité, ainsi que la production de bois et de sève. Étudier la réponse des arbres et des peuplements forestiers à ce type d’évènement est donc crucial, d’autant plus que les sécheresses extrêmes restent encore peu étudiées au Québec comparativement à d’autres pays. Comprendre comment les écosystèmes réagissent localement à ces évènements pourrait ainsi permettre d’élaborer des scénarios sylvicoles réalistes face aux changements climatiques.
Notre étude vise à mesurer les effets de cette sécheresse extrême et marquante sur quatre principales espèces d’arbres : l’érable à sucre, le chêne blanc, le chêne rouge et le frêne rouge. En 2013, douze parcelles temporaires ont été installées le long de l’escarpement d’Eardley, avec des degrés variés d’ouverture du couvert forestier, mesurés sur le site à l’aide de photographies hémisphériques. L’étude visait à évaluer :
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Le taux de mortalité des espèces d’arbres à l’étude selon les trois stades de développement : semis, gaulis et futaie, et en fonction du degré d’ouverture de la canopée;
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Les réactions morphologiques (photo 2) et physiologiques des arbres survivants, comme les pousses épicormiques (photo 3) et la surface foliaire spécifique (SLA). Ces résultats ne sont pas traités ici.
L’implantation du dispositif ainsi que l’analyse des données ont été réalisées sous la supervision de la professeure Alison Munson de l’Université Laval.


La réaction épicormique, en foresterie, désigne le développement de jeunes pousses (appelées gourmands) à partir de bourgeons dormants situés sur le tronc ou les branches d’un arbre, souvent en réponse à un stress comme une taille sévère ou un changement d’environnement.
Mortalité des arbres
La probabilité de mortalité des arbres, toutes espèces confondues, en 2013 — soit un an après l’épisode de sécheresse — atteignait presque 12 %. Cela représente un taux deux à trois fois plus élevé que la mortalité naturelle courante. Toutefois, parmi les arbres moribonds, 77 % étaient encore vivants l’année suivante, en 2014.
Parmi tous les paramètres mesurés dans l’étude, la mortalité a été fortement influencée (statistiquement) par trois facteurs majeurs : l’espèce, le stade de développement et l’ouverture du couvert forestier (photo 4). En revanche, la pente, le taux d’argile dans le sol, la densité, le diamètre, etc., ont eu un effet moindre sur les résultats.

Parmi les espèces principales étudiées, le chêne blanc à maturité a présenté un taux de mortalité de 33 %, soit deux fois supérieur à celui du chêne rouge (17 %) et trois fois plus élevé que celui de l’érable à sucre (9 %).
Par ailleurs, le taux de mortalité au stade de gaulis a été si élevé, en général, que presque tous les érables à sucre sont morts en 2013 (93 %), incluant une forte proportion de chênes blancs (37 %). Ces résultats indiquent une modification progressive de la composition forestière en sous-étage dans 75 % des parcelles, où le frêne rouge s’est implanté au détriment du chêne blanc sur les sites xériques (secs) et de l’érable à sucre sur les sites mésiques (ni très humides, ni très secs).
Sur le plan statistique, les résultats démontrent que le stade de développement des gaulis est le plus touché et que le chêne blanc est l’espèce la plus atteinte par la mortalité.
Enfin, l’analyse de la probabilité qu’un arbre mature meure, en fonction de l’ouverture du couvert forestier, révèle que ce taux augmente en moyenne de 4 % par tranche de 10 % d’augmentation de l’ouverture du couvert. En d’autres termes, la probabilité de mortalité d’un arbre était d’une chance sur cinq dans les peuplements présentant 30 % d’ouverture du couvert, contre une chance sur trois dans ceux où le degré d’ouverture atteignait 80 %.
Discussion
La réaction observée dans cette forêt, d’après le suivi réalisé deux ans après l’évènement, suggère une certaine capacité de récupération des arbres matures. Néanmoins, cette stabilité apparente peut masquer des effets à long terme qui n’ont pas été mesurés. Des études menées en France, aux États-Unis et en Allemagne sur des sécheresses extrêmes ont démontré que des arbres ayant survécu à un tel épisode sont souvent morts dans les dix années suivantes, n’ayant jamais retrouvé leur croissance initiale.
Qu’est-ce que la résilience?
À l’échelle d’une communauté forestière, la résilience à la sécheresse se traduit par un faible taux de mortalité des arbres de l’étage dominant du couvert, sans modification importante de sa structure et de sa composition. De façon générale, la résilience d’un écosystème est la capacité d’absorber les effets d’une perturbation sans se modifier ou encore, de se réorganiser sans tarder. Il y a néanmoins des limites climatiques qui ne doivent pas être franchies pour toutes les forêts du monde afin qu’elles puissent maintenir leur intégrité, leurs services et leurs fonctions.

Ce phénomène d’effets différés du stress post-choc est accentué chez les arbres occupant les sites secs (xériques). On pourrait croire que ces derniers sont mieux adaptés — ce qui est en partie vrai —, mais ces sécheresses extrêmes les poussent aux limites de leur capacité. L’épuisement des réserves de glucides augmente alors leur sensibilité aux maladies, aux insectes et au gel.
Ce constat appuie d’autres recherches menées hors Québec (dont celle de Greg Allen, 2010) montrant que même les espèces adaptées aux milieux secs déclinent lors d’évènements extrêmes. Par conséquent, certains classements par espèce peuvent parfois surestimer leur capacité à résister aux sécheresses extrêmes. Nous estimons donc que le classement fondé sur les capacités stratégiques physiologiques — telles que la résistance à l’embolie et l’évitement par l’élongation des racines —, utilisé par les chercheuses canadiennes Aubin (2016) et Marsh-Boisvert (2020), se révèle efficace pour prédire les effets futurs.
La fermeture des stomates et l’embolie
Les arbres transpirent par les stomates qui sont de fins orifices enchâssés dans la face inférieure des feuilles. Si l’eau vient à manquer, les stomates se ferment pour réguler la transpiration et éviter la flétrissure des feuilles. Si la sécheresse se prolonge, les feuilles tombent prématurément pour éviter le dessèchement des rameaux et des branches et surtout la formation de graves embolies. Le temps que prend l’arbre pour réagir et procéder à la fermeture de ses stomates dépend de la nature de chaque espèce. En général les chênes prennent plus de temps que les érables ce qui peut leur jouer un tour lors des sécheresses prolongées comme celle de 2012. Or, une trop forte tension interne crée des bulles de gaz dans les tissus. L’expansion des bulles d’air mène parfois
à l’arrêt complet de la circulation de la sève dans les vaisseaux. L’embolie qui survient après une sécheresse estivale est lourde de conséquences.
Par ailleurs, la régénération de gaulis d’érable à sucre ayant été presque anéantie, il est nécessaire de réfléchir à de nouvelles mesures d’aménagement forestier des feuillus nobles afin de maintenir cette relève, malgré les impératifs climatiques extrêmes qui menacent de plus en plus nos ressources.
Les degrés d’ouverture du couvert forestier (mesurés par photographie hémisphérique) ont eu un impact significatif sur la mortalité des arbres : plus le couvert était ouvert, plus la mortalité était élevée. Dans le parc de la Gatineau, certaines trouées anciennes causées par le feu ont, par endroits, laissé le sol à nu. Les peuplements de ces milieux très secs peinent à se refermer naturellement, entraînant une dégradation structurelle vers des milieux ouverts de type savane, dominés par des herbacées comme les carex. Nos résultats sur la mortalité en fonction de l’ouverture du couvert forestier pourraient expliquer que, dans les zones découvertes sur 50 à 80 % des placettes, la pénétration accrue des rayons du soleil jusqu’au sol favorisait l’emmagasinement de chaleur par le roc affleurant l’escarpement. En conséquence, les arbres en place peuvent difficilement effectuer une recharge optimale en eau, en raison du maintien de températures élevées, même durant la nuit. Ce phénomène aurait ainsi pu exacerber les problèmes du système hydraulique des arbres. Un processus similaire est d’ailleurs observé dans certaines grandes villes.
L’alimentation en eau par les racines
Tout commence dans les radicelles les plus fines formant le chevelu racinaire qui assure l’interface avec les particules du sol par l’entremise des mycorhizes. Les arbres peuvent éviter les effets d’une sécheresse en développant de longues racines qui courent en surface pour capter l’eau de pluie ou qui plongent dans le sol pour accéder à l’eau en profondeur. L’usage optimal de l’eau se manifeste aussi au niveau des racines profondes des grands arbres qui puisent l’eau souterraine, la rendant alors disponible près de la surface pendant la nuit pour alimenter les arbres à racines superficielles. L’association des espèces en forêt mixte présente des avantages réciproques. L’effet parapluie d’un couvert mixte est moins efficace qu’un couvert dense de conifères de sorte qu’il y a plus d’eau de pluie qui atteint le sol et le pénètre en profondeur.
Conclusion
L’escarpement d’Eardley, site à haute valeur écologique et sociale, présente aujourd’hui des symptômes inquiétants de dégradation du couvert forestier. La sécheresse extrême de 2012 révèle la vulnérabilité de certaines espèces des sites les plus exposées ainsi que la transition naturelle de la forêt vers un autre équilibre. Même si une certaine résilience a été observée à court terme, la dynamique de succession, la mortalité différée et la perte de couverture forestière indiquent un déclin prématuré de l’écosystème actuel, dont les impacts pourraient s’étendre sur plusieurs décennies.
Face à un climat de plus en plus instable, il devient essentiel de reconnaître les effets des sécheresses extrêmes et de mieux intégrer ces connaissances dans la gestion forestière au Québec. Ce type d’étude, mené à l’échelle locale, peut contribuer à bâtir des stratégies d’adaptation plus robustes et à prévenir des pertes irréversibles dans les écosystèmes forestiers. Les stratégies d’aménagement fondées sur les principes de résilience, de résistance et de transition constituent des outils prometteurs pour toute intervention actuelle ou future, puisqu’elles tiennent compte des incertitudes liées aux conditions climatiques présentes et à venir, ainsi qu’aux réponses écologiques qui en découleront.
Remerciements
Je remercie généreusement toutes les personnes qui ont rendu possible cette étude importante soit sur le terrain soit à l’écriture : Alison Munson, Marie Coya, Bruno Boulet, Michel Huot, Patrick Lupien, Ariane Généreux-Tremblay, François Girard, Jeremy Martel, Roxanne Maheu, Sylvain Mailloux, Isabelle Beaudoin-Roy, Louis Harvey et Creg Allen.
Les encarts présentés dans cet article sont des extraits du livre de Bruno Boulet : Science de la forêt – tome 2 – Les arbres en pénurie d’eau.

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