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Résilience et réhabilitation, des peuplements mixtes altérés par la coupe à diamètre limite

Patricia Raymond, ing.f., Ph. D. Hugues Power, ing.f., Ph. D. François Guillemette, ing.f., M. Sc. Josianne DeBlois, stat., M. Sc. Daniel Dumais, ing.f., M. Sc. Marie Eve Roy, ing.f., MBA, Direction de la recherche forestière du ministère des Ressources nature

Jusqu’en 1990, la coupe à diamètre limite a été pratiquée en forêt mixte tempérée sur le territoire public québécois. À long terme, cette méthode de récolte, basée sur la récolte des arbres de plus gros diamètres, pourrait altérer la composition, la qualité et la régénération des peuplements. Qu’en est-il réellement après plusieurs décennies? L’étude des caractéristiques de peuplements traités avec cette méthode de récolte montre que la plupart ont repris naturellement leur croissance et leur développement au fil du temps, mais que la régénération y est très souvent déficiente.

La réhabilitation des peuplements altérés par les coupes à diamètre limite du passé est recommandée pour améliorer le stockage du carbone et favoriser la résilience face aux changements globaux. Pour aider les aménagistes forestiers à identifier les peuplements qui pourraient nécessiter une intervention sylvicole, un modèle conceptuel a été élaboré. 

 


LE SAVIEZ-VOUS?

Le capital forestier en croissance (CFC) est défini dans Le guide sylvicole du Québec comme l’ensemble des arbres d’avenir d’un peuplement qui ont le potentiel de produire du bois d’œuvre et qui ne risquent pas de se détériorer avant la prochaine récolte.


 

Un modèle conceptuel basé sur trois critères diagnostiques

En 2000 et 2001, un réseau de suivi de peuplements traités en coupe à diamètre limite entre 1970 et 1990 a été établi dans les régions du Bas-Saint-Laurent, de la Mauricie et de la Capitale-Nationale. Il comprend 415 placettes-échantillons  de 200 m² réparties dans six végétations potentielles et n’ayant subi aucune intervention sylvicole depuis. Les placettes-échantillons, d’une même végétation potentielle1 et se trouvant dans une même virée d’inventaire, ont été regroupées pour former 136 peuplements. Au début du suivi, on a classé les peuplements en trois catégories (Figure 1) : « belle venue » (CFC ≥ 9,0 m²/ha), « appauvri » (7,0 ≤ CFC < 9,0 m²/ha) et « altéré » (CFC < 7,0 m²/ha).

Après 15 ans de suivi, soit 26 à 58 ans après la coupe, les 136 peuplements ont été évalués selon trois critères diagnostiques :

  • CFC du peuplement : capital forestier en croissance d’au moins 9,0 m²/ha 

  • en essences désirées (sont exclus les sapins de diamètre à hauteur de poitrine [DHP] > 19 cm);

  • CFC des perches : capital forestier en croissance d’au moins 3,0 m²/ha en perches (DHP de 9,1 à 23,0 cm) d’essences désirées2. 

  • Régénération : coefficient de distribution (CD) en gaules (DHP de 1,1 à 9,0 cm, placettes de 9 m²) d’essences désirées d’au moins 60 %.

De plus, des analyses ont été réalisées pour évaluer l’effet du temps, de la végétation potentielle et de la catégorie de peuplement au début de l’étude sur ces trois critères.

 

 

Des peuplements résilients, mais insuffisamment régénérés

Les résultats de l’étude démontrent que les peuplements mixtes altérés par les anciennes coupes à diamètre limite sont plutôt résilients (Figure 2). En effet, leur vigueur et leur volume s’améliorent avec le temps en l’absence d’intervention. Les valeurs moyennes de CFC ont atteint ou dépassé les seuils établis. Rares sont les peuplements des catégories « altéré » ou « appauvri » qui ne respectaient aucun critère après 15 ans de suivi. Dans plusieurs cas, un effort sylvicole est toutefois nécessaire pour améliorer la qualité des arbres du peuplement. De plus, les résultats montrent que le rétablissement est beaucoup plus lent pour les peuplements de la catégorie « altéré », alors que ceux des catégories « belle venue » et « appauvri » ont suffisamment récupéré pour permettre un nouveau cycle de coupes partielles.

 

 

Environ les deux tiers des peuplements ont satisfait au moins deux critères; la situation la plus fréquente étant un CFC du peuplement et un CFC des perches suffisants (Figure 3). En revanche, la majorité des peuplements (65 %) avaient une régénération insuffisante en gaules d’essences désirées. Les peuplements des végétations potentielles de sapinière MS1 et RS1 avaient de plus faibles valeurs de CFC des perches ainsi qu’une régénération en gaules en deçà de 40 %. Cela s’expliquerait en raison des coupes à diamètre limite qui tendaient à être plus fortes dans les peuplements à dominance résineuse, ce qui aurait ainsi réduit la densité des semenciers et favorisé le développement d’une abondante strate arbustive au détriment de la régénération des épinettes, du thuya et des autres essences résineuses.

 

Recommandations sylvicoles basées sur des critères diagnostiques

Ce modèle conceptuel permet de prioriser les actions sylvicoles à mettre en œuvre pour améliorer les peuplements altérés selon trois critères diagnostiques (Figure 4). Par exemple, lorsque le CFC du peuplement est suffisant et que la régénération est insuffisante (a), on priorisera des interventions visant à établir une nouvelle cohorte de régénération et, au besoin, des traitements de préparation de terrain et de plantation d’enrichissement.

 

 

Lorsque seul le CFC des perches est suffisant (b), on peut soit laisser croître le peuplement, soit procéder à une éclaircie commerciale si le peuplement est trop dense. Lorsque seule la régénération est suffisante (c), c’est-à-dire que le peuplement est peu vigoureux et/ou de faible qualité, on priorisera des modalités d’intervention visant à libérer graduellement la régénération. Enfin, lorsqu’aucun critère n’est atteint (d), on priorisera une réhabilitation complète qui comprend la plantation. De tels peuplements pourraient être utilisés, par exemple, pour mettre de l’avant des stratégies d’adaptation aux changements globaux, telles que la migration assistée.

 

1Les végétations potentielles concernées sont l’érablière à bouleau jaune (FE3), la bétulaie jaune à sapin et érable à sucre (MJ1), la bétulaie jaune à sapin (MJ2), la sapinière à bouleau jaune (MS1), la sapinière à bouleau à papier (MS2) et la sapinière à thuya (RS1).

2 Les essences désirées sont le bouleau jaune, le bouleau à papier, l’érable à sucre, l’épinette rouge, l’épinette blanche, l’épinette noire, le sapin baumier, le thuya occidental et la pruche du Canada.

 


Pour en savoir plus

Consultez la publication scientifique originale :

Consultez des références complémentaires :


 

 

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