ARTICLES AUTOMNE 2025

Les blessures aux arbres

Gabriel Grenier, techn. forest., Enseignant, Centre de formation professionnelle Le Granit

L’arbre pousse lentement et il ne peut fuir le danger. Il n’est pas pour autant démuni. Bien qu’il soit confiné à un endroit fixe, il s’adapte à son milieu et aux contraintes de manière remarquable. Vous verrez dans cet article comment l’arbre peut réagir à une blessure, un obstacle ou un contexte particulier en images. Vous pourrez ainsi vous faire l’oeil et mieux comprendre les arbres autour de vous.

Le circuit emprunté par la sève

Tout d’abord pour comprendre ces images, il convient de se pencher un peu sur le mode de croissance normal des arbres. Comme toute plante vasculaire, l’eau est puisée dans le sol et acheminée jusqu’aux feuilles pour permettre la photosynthèse (la production de glucides). Le trajet suivi par la sève brute (celle qui contient l’eau et quelques traces de minéraux) commence dans les poils absorbants (les fines extrémités racinaires), puis voyage par les racines, le tronc (le xylème, pour être précis, soit les derniers cernes de l’arbre et non le cœur), la branche, le rameau, le pétiole et les multiples ramifications des nervures pour irriguer le limbe (la partie verte d’une feuille). La sève brute, une fois utilisée pour la photosynthèse, se transforme en sève élaborée. Elle contient désormais des sucres et d’autres composés organiques complexes. Le chemin parcouru par la sève élaborée pour nourrir toutes les parties de l’arbre (jusqu’au bout des racines) se fait juste sous l’écorce dans la couche nommée : phloème. J’illustre souvent le tout en disant : la sève brute, ce sont les ingrédients, puisés dans le sol, tandis que la sève élaborée représente les multiples plats qui sortent de la cuisine (les feuilles). Comprendre ce parcours permet de mieux apprécier la manière dont un arbre réagit à certaines blessures.

 

Les blessures d’annélation

Les premiers exemples que je veux illustrer sont les déclinaisons de l’annélation. C’est-à-dire une blessure coupant le phloème sur toute la circonférence de l’arbre et empêchant ainsi la sève élaborée de nourrir le système racinaire (pour croître et pour emmagasiner de l’énergie).

Au début, l’arbre peut compenser en puisant dans ses ressources emmagasinées afin de continuer de croître dans le but de s’affranchir de la blessure et d’acheminer à nouveau la sève élaborée vers les racines. Cela se produit lorsque la blessure est mince ou que l’arbre possède plusieurs greffes racinaires avec ses voisins lui permettant de compenser plus longtemps.

Ce jeune hêtre (1) a subi deux traits de sciottes espacées. Les ressources emmagasinées dans son système racinaire furent suffisantes pour soutenir une croissante permettant de fermer les blessures qui étaient assez minces.

 

 

Lorsque la contrainte vient de l’extérieur, comme cette attache autobloquante (Ty-Rap) sur ce jeune saule des vanniers (2), il est possible que l’arbre réussisse à pousser par-dessus.

Certaines contraintes extérieures sont plus importantes, comme cette corde à linge (3) laissée en place pendant plusieurs années au point d’étrangler l’arbre. La sève brute continue de monter dans le xylème, mais la descente de la sève élaborée est bloquée par le goulot formé par la corde. La croissance au-dessus est par conséquent nettement supérieure à celle en dessous. Si l’arbre réussit à refaire des tissus par-dessus la blessure, la circulation pourra recommencer normalement. C’est la même chose pour cette broche (4) utilisée dans un contexte acéricole.

 

 

Lorsque la blessure est trop importante, l’arbre meurt assez rapidement. Cet érable de Norvège (5), espèce très invasive, a pu puiser pendant trois ans dans ses réserves avant de mourir.

 

 

À l’état naturel, il y a une liane, le célastre grimpant, aussi appelé le bourreau des arbres, qui peut provoquer une annélation, comme en témoigne la photo 6 prise près d’un champ agricole à Coaticook. 

 

Les blessures d’animaux

Les animaux peuvent aussi tuer des arbres, comme les mulots chez les jeunes arbres fruitiers ou les porcs-épics chez les arbres plus grands (7). Dans cette photo, la blessure est importante (générée par plusieurs années d’attaque consécutives), mais elle n’affecte pas tout le tour de l’arbre, c’est donc moins grave qu’une blessure de deux pouces de large qui le ceinturerait.

 

 

Les chevreuils mâles peuvent aussi anneler des arbres en s’y frottant abondamment durant le temps du rut afin de marquer leur territoire, comme en témoigne la mort de ce mélèze (8) ou la sérieuse blessure de ce lilas japonais (9). Pour ce dernier, le fait que les gens aient oublié d’enlever le tuteur lui a conféré une certaine protection; le chevreuil n’a pas pu le blesser entièrement. S’il vous plaît, prenez quand même le temps d’enlever vos tuteurs, généralement après deux ou trois ans. Sinon, l’arbre peut mourir annelé par l’attache ou se blesser par la friction avec le tuteur. Un l’arbre peut néanmoins réussir à s’affranchir de l’attache et à pousser autour du tuteur, comme en témoigne ce vieux pommetier (10) de Saint-Martin. Toutefois, le moment venu, l’abatteur sera sûrement surpris par la dureté du bois de cœur!

 

 

Certaines blessures longues sont l’œuvre des orignaux, comme celle de ce jeune érable de Pennsylvanie (11), ou sont d’anciennes blessures en voie de cicatrisation, comme celle de cet érable rouge (12).

D’autres blessures d’animaux sont bénignes comme les traces de jeunes ours ayant grimpé dans un hêtre (13).

Ces blessures ne sont pas assez profondes pour causer de réels préjudices.

 

 

Blessures de l’eau et de la météo

Lorsque les blessures sont longues et étroites, l’arbre s’en remet généralement bien, comme les blessures de foudre. Voici un frêne (14) du mont Saint-Hilaire qui venait tout juste de se faire foudroyer, le bois était encore beige. Voici une blessure de foudre plus ancienne sur un immense pin blanc (15) à Saint-Martyrs-Canadiens. 

 

 

Certains arbres situés aux abords des rivières se font blesser par la débâcle printanière. Les blessures sont parfois très impressionnantes, mais l’arbre continue tout de même de croître sur la face à l’abri des glaces. Le fait que les arbres sur le bord des rivières penchent généralement vers l’eau (endroit où la lumière abonde) les avantage. Le côté sain, qui continue de maintenir l’arbre en place, est le côté le plus important, car c’est là que la tension dans le bois est la plus forte (pour empêcher l’arbre de tomber). Voyez ce gros bouleau jaune (16) qui accumule plusieurs années de blessures, mais qui a quand même atteint une taille et un âge considérables.

En longeant la rive, on peut aussi voir des bouleaux jaunes (17) dont l’érosion dégarnit année après année le système racinaire. L’arbre réussit malgré tout à s’en tirer en augmentant les ramifications, en modifiant le patron de croissance de ses racines…

 

 

Blessures d’outils et d’objets

Parfois, lors d’un élagage trop rapide à la scie à chaîne, il y a quelques blessures plus ou moins superficielles, selon le cas. Ici, ce jeune sapin (18) va s’en remettre.

Sur les vieux bouleaux jaunes, il y a parfois d’anciennes blessures de scies à chaîne qui témoignent d’abattages incomplets passés. Les bûcherons d’autrefois commençaient parfois l’abattage, puis à la suite de l’entaille, ils réalisaient que la qualité du bois n’était pas satisfaisante. Ils passaient alors au prochain arbre sans finir le travail. Ces gros arbres continuaient de croître pendant plusieurs années avant de devenir des chicots. Il peut s’écouler 50 ans, entre la blessure d’origine et la chute naturelle du tronc, comme en témoigne ce vieux chicot de bouleau jaune (19) dans le parc de la Jacques-Cartier.

Le disque-golf est un sport qui se pratique parfois en forêt. La grande vélocité et l’angle prononcé de certains disques causent des blessures horizontales chez les essences à écorces minces comme cette jeune épinette (20).

 

 

Blessures d’insectes

Les insectes laissent aussi quelques traces particulières comme les galeries en « J » des perceurs de l’érable (21),  celles en « S » des larves de l’agrile du frêne (22) ainsi que les trous de sortie des agriles adultes qui ont une forme en « D » caractéristique. 

 

 

Lorsque l’adulte de l’agrile du bouleau sort du tronc, il y a des coulures beiges rosées qui deviennent brun rouille au fil de l’été (23), tout comme celles faites par le saperde du peuplier (24).

L’écorce effritée d’un mélèze attaqué par le dendroctone du mélèze (25) porte aussi une marque singulière.

 

 

Certaines blessures plus rares ne se reconnaissent qu’au début des symptômes, comme la masse de résine sur le tronc de cette épinette (26) que certains se sont amusés à brûler. 

 

 

Les contraintes qui laissent des traces

Parfois, ce n’est pas une blessure, mais plutôt une contrainte dont l’arbre garde une trace. Certains bouleaux jaunes, pruches ou épinettes affichent une capacité surprenante à pousser sur de vieilles souches. 
Lorsque ces dernières finissent leur décomposition, l’arbre peut avoir déjà 30 ans et donc, il garde encore pendant plusieurs décennies ce motif de racines en échasse (27).

Certaines plantations sont situées à des endroits où l’accumulation de neige et le vent peuvent représenter des contraintes importantes. Vous pouvez voir que ces épinettes (28) ont eu plusieurs bris en jeune âge. Une fois affranchies de la zone d’influence nivale, elles ont commencé à pousser droit en corrigeant, tranquillement, leurs défauts de structure. 

 

 

Blessures en zone habitée

En ville, les blessures récurrentes limitent la croissance comme ce système racinaire qui a dû épouser la forme géométrique que lui impose le passage répété de la gratte qui déneige le trottoir ainsi que celle utilisée pour l’entrée de la cour  (29).

 

 

Voici un hêtre (30) qui a poussé adossé à une clôture grillagée. On peut voir qu’il a réussi à pousser entre les mailles, mais son écorce garde le lointain motif des losanges.

Dans les parcs, il est fréquent de voir les bouleaux se faire arracher l’écorce pour démarrer des feux ou autres raisons. Selon la profondeur de la blessure (l’épaisseur de l’écorce enlevée), certains en meurent alors que d’autres prennent une apparence rugueuse. Voici un bouleau à papier (31) et un bouleau jaune (32) dans cette situation.

 

 

Concernant les blessures dues aux taille-bordures, aux tondeuses et aux tracteurs à pelouse (33), elles sont hélas très nombreuses dans toutes les villes du Québec, et nous n’avons aucune excuse pour cela. Les villes paient parfois pour sous-traiter ces tâches et les arbres se font blesser année après année. Ensuite, ils paient pour remplacer ceux qui meurent, pour ensuite, payer pour les blesser à nouveau... Nous devrions laisser pousser librement le premier pied de pelouse autour de chaque arbre ou tailler cette zone très très délicatement.

L’arrosage des arbres en jeune âge est important, pendant les trois premières années, mais comme les contrats de plantation incluent parfois l’arrosage de la première année seulement, il y a des arbres qui meurent à l’année deux et trois, comme en témoigne cette dernière image (34). 

 

 

Les fleurs se font arroser, mais les arbres sèchent juste à côté. Cette dernière image sert surtout à une prise de conscience. Les arbres meurent autour de nous en ville, sans que personne ne les remarque réellement. Comme forestier, nous avons une certaine responsabilité à l’égard de la santé des arbres. Peu de gens savent les identifier et encore moins peuvent reconnaître leur vigueur ou leur santé. En regardant les arbres au quotidien, vous viendrez qu’à remarquer de fins changements et votre connaissance s’améliorera. Vous deviendrez des sentinelles. L’arbre procure des bienfaits indéniables, mais il convient de lui laisser la chance de grandir librement afin qu’il offre pleinement sa contribution. Gardez donc les yeux ouverts!


 

 

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