Lutter contre les espèces exotiques envahissantes est une entreprise ardue et aux résultats incertains. Peut-on venir à bout de ces super-espèces? Pourrons-nous les éliminer, les contrôler ou les affaiblir? Si la lutte à l’échelle provinciale est entravée par l’ampleur de la tâche, les citoyens peuvent contribuer en contrôlant les colonies présentes sur leur propriété. C’est en travaillant tous ensemble que nous pourrons faire une différence face à cette problématique d’envergure!
Les espèces exotiques envahissantes
Les espèces exotiques envahissantes sont un grand fléau environnemental de notre siècle et donnent bien des maux de tête aux chercheurs et experts. Ces espèces animales ou végétales, introduites de l’étranger, causent des dommages à leur nouvel environnement qui n’est pas adapté pour les contenir. En d’autres mots, elles sont trop fortes et trop résilientes dans leur nouvel écosystème au détriment des autres espèces présentes, ce qui cause un déséquilibre dans le milieu.
Voyant ces impacts, le gouvernement travaille à limiter l’introduction de nouvelles espèces tout en luttant contre celles déjà établies. Cependant, la lutte face à ces espèces particulièrement tenaces est difficile. Les scientifiques et spécialistes tentent de développer de meilleures techniques pour résoudre ce problème, mais le succès n’est pas assuré. La prévention reste la meilleure façon de nous tenir à l’abri, mais pour les espèces déjà introduites, il faut se retrousser les manches et s’unir pour limiter les dégâts.
La renouée du Japon
La renouée du Japon est une vedette dans ce domaine. Originaire d’Asie et introduite au Canada en tant que plante ornementale, comme la plupart des plantes exotiques envahissantes, la renouée s’est fait une réputation de dure à cuire bien méritée!
Des brins de tiges aussi petits que 4 cm et des bouts de rhizomes de seulement 8 g peuvent créer un nouvel individu s’ils sont exposés à un environnement propice. Une nouvelle colonie prend de la force grâce à la création d’un réseau de rhizomes impressionnant, poussant en profondeur (jusqu’à 2 à 3 m) et en longueur. Les rhizomes horizontaux servent à créer de nouvelles tiges et ainsi grandir la colonie. Les tiges de renouée poussent rapidement, soit de 1 à 8 cm par jour, et leur hauteur à maturité est en général de 2 ou 3 m. Tous ces traits réunis en font des plantes redoutables, ayant plusieurs avantages sur les espèces indigènes présentes dans leur milieu. Il n’est donc pas rare que les colonies de renouée forment des haies ou îlots denses, couvrant parfois des centaines de mètres carrés!
Les impacts sur l’environnement
Dans plusieurs cas, la renouée du Japon pousse si densément qu’aucune autre plante ne survit dans le périmètre de la colonie, réduisant la biodiversité végétale du milieu. Sa présence peut avoir un effet sur les sols et sur la biodiversité animale, bien que nous n’ayons que peu de données pour supporter ces théories. Les observations suggèrent également que la présence de renouée du Japon sur les berges augmente les risques d’érosion, car ses tiges meurent à l’automne, laissant les rives à nu pour l’hiver. S’ajoutent à cela les effets sur nos collectivités, comme les enjeux d’entretien en terrains résidentiels et la création de barrières végétales bloquant la vue du paysage ou les panneaux d’indications routières.
La renouée du Japon, comme beaucoup d’autres plantes exotiques envahissantes, profitent des ouvertures et de la perturbation des milieux pour s’installer. En effet, elle est capable de coloniser des environnements pauvres et peu propices, et ce rapidement, ce qui lui confère un avantage sur d’autres espèces. Pour ces raisons, les bords de route, les chantiers de construction et les fossés sont de bons candidats à l’invasion. Ces milieux étant déjà perturbés par les activités humaines, les impacts écologiques y sont moins alarmants.
Cependant, les milieux humides, sensibles aux perturbations, sont également souvent envahis par ces opportunistes. Fragiles, mais tellement importants pour la biodiversité et les services écologiques rendus, les milieux humides sont aujourd’hui une priorité pour les défenseurs et protecteurs de l’environnement. D’autres sites peuvent aussi avoir une importance écologique, comme les habitats fauniques ou les sites comprenant des espèces à statut particulier (en situation de précarité). Pour les protéger et les conserver, la prévention de futures invasions et la lutte aux espèces exotiques envahissantes dans ces milieux à haute valeur écologique sont primordiales.
Je ne suis qu’un citoyen, que puis-je faire?
Certains milieux sont particulièrement fragiles et méritent une plus grande attention, mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut rien faire en tant que citoyen! La prévention est la clé et cela débute chacun chez soi. Une bonne connaissance de ces espèces, de leur méthode de propagation et des façons de les contrôler donne le pouvoir aux citoyens de contribuer par de petits gestes. Si vous souhaitez garder votre belle haie de renouées, ce n’est pas totalement contre-indiqué. L’essentiel est de limiter sa propagation vers d’autres milieux (ou chez le voisin), en suivant quelques bons conseils de prévention et de contrôle.
Premièrement, il est bien important de ne pas répandre la renouée, que ce soit volontairement en achetant des plants ou par bouturage, par erreur si des brins se sont logés sur nos vêtements ou outils, ou par notre façon de disposer de résidus extraits. Pour éviter cela, on recommande de bien analyser et nettoyer les outils et la machinerie qui ont été en contact avec la renouée, et de vérifier ses vêtements et son matériel lorsqu’on pratique des activités en nature.
Il est aussi important de bien disposer des résidus de renouée si on en fait l’entretien ou la lutte. Le compost et le brûlage ne sont pas assez sécuritaires, car la renouée peut repousser d’un tout petit morceau de tige ou de rhizome. L’idéal est d’ensacher les résidus et de déposer les sacs aux ordures si votre ville possède un incinérateur, ou d’aller les porter dans un centre de tri qui offre le service. Informez-vous en appelant votre municipalité avant de disposer des résidus de toute plante exotique envahissante.
Et si je ne veux plus de renouée chez moi?
La recette miracle qui assurerait une éradication définitive de la renouée du Japon n’a toujours pas été trouvée, mais nous savons que l’affaiblissement et la réduction de la taille d’une colonie sont possibles. Plusieurs méthodes sont utilisées, avec chacune différents avantages et inconvénients. Dans tous les cas, il faut s’armer de patience et de détermination si l’on souhaite livrer bataille à cette plante.
Avant de commencer des travaux, il est bon de vérifier si le milieu de lutte pourrait être un milieu à haute valeur écologique, par exemple un habitat faunique ou un milieu humide. Informez-vous auprès de professionnels si vous pensez qu’un site colonisé par la renouée du Japon pourrait être d’importance écologique afin d’adapter votre lutte aux besoins particuliers de ce milieu.
Les méthodes de lutte
Excavation avec machinerie
L’excavation est une méthode reconnue pour son efficacité, mais qui est cependant très complexe et coûteuse. La difficulté est d’extraire de grandes quantités de sols. Ça nécessite de la machinerie, mais surtout de disposer du sol par la suite, ce qui demande un site d’enfouissement adapté ou un enfouissement sur place respectant plusieurs régulations.
Extraction manuelle
Le fauchage est reconnu pour renforcir les plants et n’est donc pas du tout efficace. Pour réaliser un travail manuel ayant quelques effets, il faut extraire les rhizomes en creusant d’environ 30 à 50 cm de profondeur et ainsi atteindre la majorité des grosses racines. La répétition de cette manœuvre plusieurs fois pendant la période de croissance de la plante entraîne une réduction significative de la taille de la colonie. Cette méthode est bonne pour contrôler la colonie, mais il n’est pas clair si cela peut éradiquer la renouée du Japon d’un site pour de bon. L’arrachage doit être fait sur plusieurs années, mais la quantité de travail diminue grandement à mesure que la colonie rapetisse.
Bâchage
Une autre option bien connue est le bâchage, soit de couper les tiges au ras du sol et de recouvrir la surface de la colonie d’une géomembrane. La bâche doit être solidement ancrée au sol par des sacs de terre, des roches, des blocs de ciment ou des piquets. Il faut cependant faire attention avec les piquets, car même les petits trous peuvent être utilisés par des pousses de renouée, qui une fois passées, élargissent l’ouverture. Un entretien régulier de la toile, en réparant les trous et en arrachant les repousses qui émergent des côtés ou des ouvertures, est donc nécessaire. Cette méthode est plus simple que l’arrachage, mais demande tout de même un certain suivi pour assurer un succès. La bâche a toutefois le désavantage d’être moins esthétique et de ne pas être adaptée à tous les environnements. La présence d’un plan d’eau, d’arbres ou arbustes, d’un terrain accidenté ou de structures dans le milieu peuvent rendre ardue la pause d’une bâche. Néanmoins, avec de l’ingéniosité et du bricolage, on peut souvent trouver des solutions en adaptant les installations aux réalités terrain. Coutures, 2 par 4, contre-plaqué, piquets de métal… Tout est possible!
Végétalisation
Peu importe le moyen de lutte, la végétalisation est nécessaire pour empêcher le retour de la renouée du Japon après l’avoir éliminée ou affaiblie. Il importe de planter des végétaux indigènes, idéalement des plantes à forts réseaux racinaires et poussant rapidement, qui seront capables de compétitionner avec les rhizomes de la renouée. Pour augmenter les chances de succès, il est important de planter densément la superficie laissée vide par la colonie combattue et d’effectuer des entretiens fréquents après la plantation en arrachant les tiges de renouée qui pourraient essayer de repousser au travers des plants indigènes.
Mon île sans renouée
Au printemps 2023, l’Association forestière des deux rives lançait une campagne de sensibilisation et de mobilisation citoyenne à l’île d’Orléans : Mon île sans renouée. L’objectif de cette campagne est de faire connaître cette plante aux citoyens afin qu’ils puissent l’identifier, découvrir ses impacts sur l’environnement et apprendre à la contrôler dans leur jardin s’ils le souhaitent.
Afin de diffuser notre message et pour discuter de cet enjeu avec les citoyens, nous avons notamment cogné à 1 000 portes durant l’été 2023 dans les villages de Sainte-Pétronille, Saint-Laurent et Saint-Jean, et avons participé à trois événements publics de l’île. Pour montrer un exemple concret, nous avons réalisé la lutte à deux colonies de renouée du Japon présentes sur les berges du fleuve, soit une colonie derrière l’école primaire de Saint-Laurent et une colonie au parc maritime de Saint-Laurent. Les citoyens étaient invités à venir nous aider à réaliser les travaux de lutte à ces sites qui consistaient à extraire les rhizomes manuellement, avec pelles et autres outils. Cette méthode a été choisie, plutôt que l’installation de bâches, car les deux sites se trouvent sur le littoral et que les marées montent jusqu’aux colonies de renouée. En tout, nous avons réalisé cinq activités d’extraction entre juin et novembre 2023. À la fin de la saison, une différence était déjà visible dans la force et la quantité de rhizomes et de tiges.
En 2024, la lutte se poursuivra durant toute la saison de croissance et nous terminerons à l’automne avec la végétalisation des sites de lutte. Nous réaliserons la plantation des végétaux en compagnie d’élèves d’écoles primaires de l’île, afin de leur faire connaître cette plante et notre projet de lutte. Sensibiliser la relève est essentiel pour assurer la pérennité de nos efforts et heureusement, les jeunes se montrent très ouverts et curieux.
Enfants comme adultes, cette campagne nous démontre que le public est généralement intéressé et interpellé par la problématique et souhaite contribuer. Il faut poursuivre nos efforts pour faire connaître la renouée du Japon et la problématique des espèces exotiques envahissantes, mais aussi à communiquer les bonnes pratiques, trucs et astuces, ainsi qu’à collaborer, car c’est tous ensemble que nous pourrons protéger nos terrains, terres et écosystèmes face à ces plantes invasives.
En terminant, l’AF2R tient à remercier sincèrement les nombreux collaborateurs qui l’appuient dans la réalisation du projet ainsi que ses précieux partenaires. Mon île sans renouée est rendu possible grâce à une contribution du Programme Interactions communautaires (PIC) lié au Plan d’action Saint-Laurent 2011-2026 et mis en œuvre par les gouvernements du Canada et du Québec, ainsi qu’à une contribution du Fonds d’action Saint-Laurent (FASL) via son Programme maritime pour la biodiversité du Saint-Laurent (PMB) en collaboration avec Avantage Saint-Laurent, la nouvelle vision maritime du Gouvernement du Québec.
En savoir plus
Pour en savoir plus sur la renouée du Japon ou pour suivre nos activités de sensibilisation et de mobilisation à l’île d’Orléans, visitez le www.af2r.org/renouee.
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